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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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7 décembre 2023

DES QUESTIONS INSOLUBLES : la névrose

 

Lorsque l'analyse des névroses était encore à la mode il était de bon ton de les qualifier comme des expressions inconscientes de questions insolubles. Celle de l'hystérique serait : "Suis-je homme ou femme" ? Celle de l'obsessionnel : "Suis-je vivant ou mort" ? Dans ces deux figures de la névrose on constate la permanence, la persistance d'une angoisse existentielle, incompréhensible au sujet lui-même, qui, à la manière de la basse continue dans  les compositions baroques, donne à la vie psychique sa pathétique originalité. Il semblerait qu'en dépit de toutes les cures imaginables le sujet ne puisse répondre de manière satisfaisante à ces questions qui continuent de le hanter jusqu'au bout, même si paradoxalement il ne puisse se les formuler clairement à lui-même. Elles reviennent de manière récurrente et déformée dans les productions indirectes de l'inconscient, les rêves, les symptômes, les ratages de toutes sortes, à défaut de se formuler dans une parole parfaitement assumée. Si bien que le malheureux, hanté par une énigme informulable, emporte sa question avec lui dans la tombe.

Par rapport à la première question : suis-je homme ou femme ? le quidam haussera les épaules et renverra l'hystérique à la biologie, qui, elle, ne pêche pas - ou si rarement - par la confusion des sexes. Mais la biologie ne fait loi que si le corps social entérine autoritairement la distinction des sexes en imposant l'hétérosexualité comme norme universelle. Mais chacun sait que la question ne relève pas de la seule biologie, que la psyché ne se range pas mécaniquement à l'ordre naturel, et enfin, que sur un certain plan (psychique) nous sommes tous plus ou moins bisexuels. On n'a jamais éradiqué l'homosexualité par la répression pénale. Sans parler des transgenres et autres minoritaires qui témoignent à leur façon de la plasticité, de la variabilité, de la mobilité extraordinaires des pulsions et des images mentales. Si bien que, effectivement, on peut concevoir un doute légitime sur son propre genre. En dernière instance, chacun est invité à se déterminer par soi-même sur son appartenance de genre. Mais il se trouve que certains, en raison des aléas de leur évolution psychique, ne parviennent pas à une telle détermination, entretenant à l'infini une indétermination, une hésitation, une suspension à la fois douloureuse et créative : car la névrose elle aussi a son charme et sa poésie.

La seconde question : suis-je vivant ou mort ? peut intriguer celui qui n'est pas un familier de l'observation psychique. Il dira : mais chacun sait bien qu'il est vivant, d'ailleurs il faut être vivant pour poser une telle question. C'est là discours de bon sens élémentaire, mais l'inconscient ne raisonne pas ainsi. Je puis parfaitement être vivant et me sentir mort dans l'intimité de mon être, ce qui est très souvent le cas de l'obsessionnel. La mort désigne moins le terme ultime de la vie qu'un certain état de pourrissement intérieur, de désolation, de mornitude, d'absence, de vide, qui se manifeste en particulier dans les processus de répétition pathologique. Etre ou ne pas être ? Le sujet se raccroche desespérément à l'exercice de la pensée, tel Descartes qui découvre qu'il existe parce qu'il pense et qui craint que, cessant de penser, il ne cesse d'exister. La pensée se vit comme une "création perpétuée", qui, ainsi que pour Dieu qui ne cesse jamais de créer le monde, fait consister le philosophe dans l'existence. On comprendra aisément qu'un tel dispositif psychique ne peut être interrogé sans mettre en péril tout l'édifice de la personnalité, si bien que notre homme se vivra lui-même comme le porteur inconscient d'une question qui ne souffre aucune réponse.

Un psychiatre m'a dit un jour : le névrosé est l'homme-question, le psychotique l'homme-réponse. Si tel est le cas il vaut mieux en rester à la bonne révrose d'antan, et, si possible, éviter le basculement dans la psychose. A moins qu'il existe une troisième figure, fort problématique au demeurant, celle du sage qui aurait épuisé le questionnement dans la considération sereine de la totalité :

                              Reste assis sous ton chêne

                              Et regarde tourner le monde.

 

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