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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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24 juillet 2012

K 966 De la METAPHYSIQUE comme NEVROSE : Platon ou Démocrite?

 

 

 

La métaphysique occidentale, telle qu’elle se développe depuis Platon, serait-elle l’expression d’une colossale névrose ? On peut le soutenir en considérant les ravages du dualisme : éternité et temps, corps et âme, monde sensible et monde intelligible, origine et fin, perte et récupération. Le point nodal se situe dans le choix entre Démocrite et Platon, c’est là que tout se décide, c’est l’embranchement fatal qui a décidé du destin de l’Occident.  Démocrite a construit le modèle d’une physique de la surface où se disperse le multiple, à l’infini, sur un unique plan d’immanence. Platon lui oppose la dualité des mondes, entraînant à sa suite toutes les oppositions qui feront la carrière des idéalistes.

Tout cet appareillage thématise à l’infini la perte originelle : « l’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux » (Lamartine). La philosophie sera un chant funèbre, une incantation du deuil impossible, une éternisation mélancolique. C’est ainsi qu’on verra dans le désir le creusement indéfini d’un manque fondamental : je manque donc je désire, quoi ?, retrouver l’objet perdu, qu’il s’appelle Dieu, le Paradis, l’Eternité, la Chose en soi, l’Intelligible, comme on voudra. Mais comme évidemment ces retrouvailles sont marquées de l’impossible, nous voilà dans la sombre plaine des défunts, des vivants-morts, des fantômes blafards, des sépulcres blanchis. La vie est cette vallée des larmes, ce Mur des Lamentations qui feront les délices des dévots de toute farine, déguisés en penseurs de la transcendance, en nostalgiques de l’Idéal. Processus mélancolique, disions-nous, puisque la déchirure ne souffre aucune cicatrisation, indéfiniment relancée par la métonymie du manque et du désir. Deleuze tancera à bon droit les tenants du manque, y diagnostiquant la sinistre fabrique du ressentiment.

Dès l’Antiquité courait la rumeur selon laquelle Platon aurait fait brûler ou détruire l’œuvre monumentale et libératrice de Démocrite. Je ne sais si cela est vrai mais souvent la légende est plus vraie que l’histoire. En tout cas cette apologue indique bien où se situe l’enjeu principal. Tout découle de là.

Longtemps le qualificatif d’ « épicurien » sera synonyme de renégat, de traître, d’apostat, de schismatique, de blasphémateur, de moins-que-rien, de mécréant et d’antéchrist. Je m’en réjouis, au moins savons-nous à qui nous avons affaire !

Prenons l’exemple de l’éternité. Chez nous, en Occident, il est impossible d’utiliser ce terme sans tomber aussitôt dans l’opposition éternité/temps. « Le temps est le miroir mobile de l’éternité »(Platon). Qu’est-ce à dire ? C’est l’éternité qui est réelle, le temps n’est que passage, inexistence, devenir-fou, inconsistance et apparence. L’homme, prisonnier du temps par son corps, est sommé de se défaire au plus vite de cette défroque insane pour tourner son âme vers les splendeurs du Beau, du Bien et du Vrai, seules Idéalités authentiquement désirables. « Retourne au plus vite d’où tu viens », rejoins l’éternité que tu as quittée, le vrai séjour de l’âme parmi les dieux (Orphisme, Pythagorisme). Le temps c’est la malédiction. La philosophie sera une épagogè, un voyage mystique vers la libération.

On peut penser l’éternité autrement, à condition de la situer sur le plan d’immanence, faisant un avec le plan d’immanence : éternité du mouvement temporel, durée sans commencement ni fin, ni origine ni finalité, processus duratif infini, constance des processus dans leur multiplicité, leur interrelation, leur évolution tantôt cyclique tantôt linéaire, à la manière des saisons qui se ressemblent tout en différant, ramenant des formes et des couleurs, les effaçant, les variant à l’infini, tout en suivant un cours plus ou moins régulier. Plutôt que l’éternel, disons le Constant : « il y a »  constamment, dans une inépuisable fécondité, dans une variance musicale et poétique, si belle qu‘elle devrait nous arracher des larmes de joie.

Vraiment il n’y a nulle perte, nul bien à retrouver, nulle raison de s’affliger. Les choses vont leur cours. C’est nous qui sommes débiles, et qui projetons notre débilité sur le monde. Cela devrait du moins nous inciter à la modestie.

 

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Commentaires
D
Si Platon est la névrose de l'humanité, Démocrite est l'antidote car le grand remède des atomistes consiste à nous réconcilier avec la faille sans jamais la combler.<br /> <br /> <br /> <br /> Merci pour cet article inspiré et salutaire.
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