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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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19 mars 2024

L'ERMITE RELIGIEUX et L'ERMITE PHILOSOPHE

 

De par sa constitution particulière le réfractaire fait tout ce qu'il peut pour se retirer de la foule, qu'il ne peut supporter, et fuir dans les solitudes. On l'imagine aisément vivre chichement au fond d'un bois écarté, dans une hutte de branchages, ou dans un mobilhome vermoulu, carabine à portée de main pour effaroucher les importuns qui auraient eu le malheur de se perdre dans les sous-bois de son ermitage. Au Moyen Age le réfractaire pouvait se parer des prestiges de la religion, se faire passer pour un saint, jouir de la sorte de la  considération publique et accessoirement des dons que déposaient les bonnes âmes sur le seuil de sa retraite. Allez savoir quelles étaient les motivations réelles de ces ermites qui pouvaient impunément éructer contre les autorités en place, et même pourfendre, sans grand risque, les moeurs des curés, prélats, moines ou évèques.Toujours il s'agissait bien de vomir le monde, ses passions funestes, ses moeurs dépravées, ses institutions corrompues - au nom d'une autorité plus haute, d'un principe suprême et absolu, en face duquel le monde n'est que fumier et putrescence. C'est ainsi qu'une certaine mystique échevelée, fort étrangère du reste à la pensée et à la pratique de l'Eglise, a pu servir de paravent, de faire valoir, de légitimation au réfractaire ami des forêts.

Dans un excellent petit livre antique "Du rire et de la folie" attribué à Hippocrate, l'auteur expose la symptomatologie inquiétante du sage Démocrite menacé de perdre la raison :" Oublieux de tout et de lui-même pour commencer, il reste éveillé nuit et jour, trouvant dans les grandes et les petites choses autant de sujet d'hilarité et estimant que la vie entière n'est rien. (...) Démocrite rit de tout, voyant les uns tristes et chagrins, alors que d'autres se réjouissent. De plus notre homme prend l'Hadès et ce qui s'y passe comme objet de ses recherches, dont il garde trace écrite ; il assure que l'air est plein de simulacres, il écoute la voix des oiseaux, il se relève souvent la nuit et semble chanter tout seul à mi-voix. Parfois il prétend voyager dans l'infini et qu'il y a d'innombrables Démocrites semblables à lui". Vers la fin du livre on voit Démocrite se livrer à une tirade enflammée contre les passions ordinaires des hommes, la cupidité, la soif du pouvoir, l'insatisfaction chronique - par rapport auxquelles il machine deux parades souveraines : le retrait dans les bois, auprès d'une source limpide, heureux de pratiquer l'étude inépuisable de la nature ; et ce rire terrible, exterminateur, par lequel il désigne, assigne, vilipende sans pitié le mal inhérent à la constitution des hommes : "je ris d'un unique objet : l'homme plein de déraison".

Il y a je ne sais quelle majesté souveraine dans ce personnage de Démocrite, indifférent à la foule, au bien et au mal, riant de nos affects et de nos turpitudes à la manière des dieux d'Homère ("le rire inextinguible des dieux") poursuivant sans relâche ses propres recherches sur les phénoménes de la terre, du ciel, des hauteurs et des profondeurs, sur le vol des oiseaux, la trajectoire des poissons, les orages et les volcans, tous les phénomènes en somme, et l'homme y compris, lui-même considéré comme un phénomène parmi les phénomènes. Chez Démocrite le retrait, la distanciation critique à l'égard du monde n'exprime pas la mélancolie, la rancoeur d'un coeur désabusé. Même son rire, ce rire terrible qui épouvanta les Abdéritains, est allègrement tonique : il enseigne à se détacher des fictions, à voir froidement ce qui est.

 

 

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Commentaires
Z
Je me demande sérieusement si Démocrite pouvait faire tout ça, c'est très difficile à moins que...<br /> Etudier l'Hades et les doubles c'est possible dans les rêves car beaucoup de rêves sont du bas astral si vous me permettez cette expression peu philosophique et renvoient à des doubles de nous pas toujours identiques. <br /> Ecouter les oiseaux et rire de tout est possible sous cannabis par exemple, mais ne jamais dormir ou s'oublier soi-même est un peu plus compliqué. Donc si tout ça est vrai, je suppose qu'il a subit une expérience transformatrice radicale de type Satori avec mort de l'ego.
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Z
Rire des autres c'est encore perdre son temps à mon avis. Mieux vaut rester sur son propre travail, son propre dépassement.
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