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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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21 mars 2024

SAGESSE DU KAIROS - KAIROS DE LA SAGESSE

 

Sagesse du kaïros ou kaïros de la sagesse ?

Grossièrement on définira le Kaïros comme opportunité, moment favorable, ou moment de la chance. La chance, étymologiquement, c'est la cadence, de cadere, tomber, ou encore le cas (caso, Fall). Dans le processus linéaire du temps (chronos) quelque chose "tombe", fait irruption par son caractère d'imprévu, d'imprévisible, d'incalculable. Le temps est momentanément déchiré : entre l'avant et l'après un intervalle singulier, miraculeux, hors temps, une grâce, un don exquis du hasard, un éblouissement, saisissent le sujet, l'appellent, exigent de lui l'extraordinaire. C'est que le kaïros est à la fois extérieur et intérieur : il faut la rencontre de l'événement et de la conscience. Si la conscience est assoupie, distraite, négligente, incapable de se situer au bon niveau, la chance passera et le sujet se morfondra dans le regret : maintenant il est trop tard. A l'inverse il n'est pas possible de forcer le cours du temps. Comme on dit familèrement, et très justement : "Avant l'heure c'est pas l'heure ; après l'heure c'est pas l'heure ; l'heure c'est l'heure". Il faut une forme aigue de l'intelligence pour saisir l'opportunité, par la pensée d'abord, dans l'action ensuite, s'il est question d'agir.

Inférieure en nombre et en armement la flotte est acculée au fond d'un entonnoir naturel. L'issue semble fatale. C'est alors que l'amiral s'aperçoit que le sens du vent s'est inversé, soufflant en direction des bateaux ennemis. Il donne l'ordre de mettre le feu à l'un de ses propres navires, lequel, poussé par le vent en direction de la flotte ennemie, va provoquer un gigantesque incendie. Sagesse du kaïros.

L'expression "sagesse du kaïros" est en elle-même problématique, voire provocante. Mettre en avant le kaïros c'est opter pour le hasardeux, l'improbable, l'extra-ordinaire, le hors norme et l'irrationnel. A moins de considérer que cette attitude, cette option philosophique est, en dernière analyse, plus rationnelle que le rationnel ordinaire, qui n'est que conformisme, platitude de l'esprit et engourdissement. Nous avons là deux visages contrastés de la sagesse : celle, philistinique et bedonnante des diacres du bon sens, et l'autre, celle qui s'ouvre à l'étrange, qui ne mesure rien, ne calcule rien, se détourne des biens et des avoirs, et des savoirs, pour ne vivre qu'en attente de l'exceptionnel. C'était, semble-t-il, la position d'Anaxarque le Bienheureux, que ses détracteurs appelaient le Sophiste, au motif qu'il refusait la métaphysique des Idées, la souveraineté du Bien, et que, amoral en toutes choses, il offrait par tous les chemins l'image ébouriffée de la liberté.

La sagesse du Kaïros c'est la position décidée de celui qui s'écarte résolument de la sagesse vertueuse des sages pour se rendre disponible au surgissement de l'événement-hasard, recueillant dans cette fulguration ce qu'il en est des "choses" au plus près de la vérité.

"Toutes choses la foudre les gouverne".

Jusqu'ici nous avons suivi la voie du kaïros éruptif, la sagesse consistant à accueillir, recueillir, se révéler à soi-même digne du surgissement, à le faire retentir. Un pas de plus et nous voici en présence du kaïros de la sagesse. Un pas de plus, car ce qui suit n'a aucun sens si la sagesse du kaïros est manquée. Nous voici délibérément dans les plus hautes sphères de la pensée. Dire : kaïros de la sagesse c'est admettre que la sagesse elle-même puisse être l'agent, le sujet créateur, l'artisan, ou l'artiste, du kaïros - ce qui contredit au premier chef l'expérience courante, le fonctionnement ordinaire de la psyché. Est-il possible de créer l'exceptionnel, d'introduire dans le cours du temps ce hiatus, cette brisure, ce vertige, ce chaos fécond qui ne viennent pas spontanément selon l'ordre du temps ? C'est pourtant ce que fait l'artiste dans ses moments les meilleurs lorsque, déchirant la structure close de la répétition, il ose agir en soi, et hors de soi, le son, l'image, la figure, la forme qui n'existaient nulle part, et qui jaillissent et foudroient ! Poètes et penseurs connaisssent de tels moments, qui ravissent, et dans lesquels ils se reconnaissent eux-mêmes, plus hauts et plus avisés qu'eux-mêmes, en plein accord avec leur plus intime vérité.

 

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Commentaires
Z
L'homme du kairos est l'homme de la situation, l'homme qui tombe à pic, celui qui intervient comme il faut intervenir et qui sait s'effacer quand il faut s'effacer.
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X
Si on cherche l'exceptionnel on risque de mourir avant...
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D
J'aime beaucoup "l'image ébouriffée de la liberté".<br /> <br /> <br /> <br /> C'est très beau. Et drôle. Et sauvage. J'ai toujours pensé qu'une femme était toujours plus belle quand elle était ébouriffée, justement.<br /> <br /> <br /> <br /> Il y a là du vent et le sourire de celle qui semble s'éveiller au bon endroit avec les cheveux en pagaille, et les cheveux de celle qui danse.<br /> <br /> <br /> <br /> "Sois sage et sauvage" est paraît-il un proverbe amérindien - peu importe en vérité, mais j'admire également cette image.<br /> <br /> <br /> <br /> Merci, cher Guy Karl, pour ce moment bien agréable.
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