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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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2 mai 2023

DU SENTIMENT D'EXIL

 

L'exil est une sanction pénale qui consiste à expulser hors du territoire, ex-solum, hors du sol, un individu reconnu coupable devant une institution légale. Victor Hugo exilé à Guernesey. Lorsque l'exil est prononcé par le prince, ou l'empereur, on parle plutôt de bannissement. Ovide banni par Auguste sur les rivages de la mer Noire. Dans les deux cas il s'agit bien d'une mesure de contrainte, souvent injustifiée, entraînant de grandes douleurs

Je parlerai plutôt, ici, d'un sentiment d'exil plus général, plus essentiel, qui n'est pas lié à une situation politique de mise à l'écart, mais qui enveloppe l'existence toute entière, conçue métaphysiquement comme désolation, suite à une perte, une rupture originelle. Jeté dans le monde, sans recours ni secours, l'homme est condamné à parcourir sans fin les terres funestes de l'exil

Cette sensibilité s'exprime avec une grande ampleur chez Empédocle, lorsqu'il évoque la longue pérégrination du "daïmon" dans les cycles du temps, puis sa chute dans le monde  :

      "J'ai pleuré et poussé des cris en voyant le lieu étranger.

      Nous sommes venus sous le toit de cette caverne...

      Le pays sans joie

     Où Meurtre et Resssentiment et les tribus d'autres fléaux

      Les maladies desséchantes avec les pourritures et leurs écoulements

      Entrent dans l'obscurité, sur le pré de Malédiction". (Purifications, frag 118,119,121)

Ces considérations, qui doivent beaucoup semble-t-il au pythagorisme et à l'orphisme, peuvent évoquer, pour nous, la conception indoue et bouddhique du samsâra, cette malédiction qui plonge l'individu dans le cycle infernal de la mort et de la renaisssance - sauf à trouver enfin la Libération. Toutes ces traditions dépeignent la condition humaine comme un exil, et toutes elles explorent les chemins qui méneraient à une sortie, une libération, un dépassement. On se demandera légitimement si un tel dépassement peut être autre chose qu'une représentation bienfaisante ou un aimable délire.

Pour ma part je comprends très bien que l'on puisse sentir la vie comme un exil mais je ne saurais approuver l'interprétaion métaphysique, laquelle pense en termes de chute ("L'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux - Lamartine), de déréliction, de plongée dans la souffrance et le malheur, et qui dès lors est bien en peine de trouver une issue concrète à cette désolation. Ce sont là des causes imaginaires qui occultent les causes réelles, qu'il faut plutôt chercher dans les obligations et les interdictions de la culture : pour survivre dans ce monde, pour éviter la guerre de tous contre tous, il a bien fallu créer des ordres sociaux pour limiter la frénésie pulsionnelle, et dès lors, bon an mal an, chacun se voit cadenassé, mutilé, castré. Il y a bien une chute originelle, mais il faut la concevoir comme une donnée anthropologique à la fois nécessaire et indépassable. Sartre disait : "la chute originelle c'est l'existence d'autrui" - oui, à condition d'entendre par autrui le fait social comme tel, quelles que soient les conditions locales, géographiques et politiques. C'est dire aussi qu'il n'existe nulle part de paradis, île enchantée, oasis de plaisir, où chacun fait ce qui lui plaît, qui ne connaît ni le malheur ni la mort. Nous serons en exil tant que nous croirons qu'il existe quelque part un tel pays de cocagne, passé, présent, ou à venir. Pour en sortir nous n'aurons besoin ni des dieux, ni des héros ; changeons nos représentations, cela suffit.

 

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