Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
Archives
Visiteurs
Depuis la création 1 056 677
14 juillet 2020

MEURS ET DEVIENS

 

"Morior dum orior" : je meurs en naissant. Toute naissance implique rupture, abandon de l'état antérieur. En élargissant le propos : la séparation est la loi du devenir que Goethe exprimait par son "Stirb und werde", meurs et deviens.

Mais on peut renverser la formule - orior dum morior : je nais en mourant, car naissant je consens à laisser ce que je ne suis plus.

Ces formules ne sont que métaphoriques. Il n'est pas question de mort réelle, de laquelle ne naît aucune existence nouvelle, en tout cas pour l'individu en tant que tel. Il n'est question, ici, que de séparations partielles, de mutations partielles, qui peuvent bien être vécues comme des images de la mort, mais qui ne sont que des pertes plus ou moins compensées par des gains. L'enfant "meurt" comme enfant en devenant adolescent, mais dans la plupart des cas ce changement n'est pas si douloureux qu'il puisse provoquer une grave crise d'identité. Il sait qu'il n'est plus un enfant, il ne sait pas bien ce qu'il est à présent, mais il conserve la conviction qu'en dépit des aléas il est toujours lui-même. 

La vraie mort est une suppression de l'identité. Les morts symboliques sont des occasions de renouvellement. Il est bien vrai que pour rester vivant, psychiquement vivant, il faut accepter de renoncer à ce qui nous sustentait, lorsque cela qui nous sustentait nous enchaîne à la répétition et à la stérilité. Rien ne garantit que l'on trouve, après la perte, une heureuse compensation, ou une nouvelle direction, et parfois il faut bien consentir à errer, à expérimenter l'ennui et le découragement, une sorte de no man's land psychique, avant que de s'orienter à nouveau, de "renaître" pour de nouveaux horizons.

La littérature récente a volontiers traité de ce thème, présentant divers personnages en rupture, errant de ville en vile, de motel en motel, de rencontre en rencontre, sans pouvoir se fixer nulle part, entraînés par quelque force obscure loin de leur zone de confort, ignorants de ce qu'ils cherchent, avec une secrète douleur, une secrète faille que rien ne semble pouvoir combler. Ils "meurent", mais ne "naissent" pas. Et souvent c'est le petit détail incongru, la rencontre la plus improbable qui va interrompre, d'un coup, l'interminable errance... Je ne sais rien de plus émouvant que cette incertitude de l'homme qui croyait se connaître et qui se découvre désarmé, désarrimé.

Le professeur Aschenbach, lassé de ses recherches et de ses livres, quitte le confort de l'Université pour le soleil de Venise. Il ne le sait pas, mais c'est son dernier voyage. Tout ce qui l'attache encore à la vie c'est le spectacle de la mer, des oiseaux dans le ciel, de ces beaux enfants qui jouent sur la plage, et surtout de ce jeune adolescent au prénom musical, qu'il ne se lasse pas d'admirer, sans oser l'aborder. Commence alors un voyage tout intérieur, jusque dans les époques les plus reculées de l'Antiquité grecque, comme si la culture du professeur devenait chair et âme, vibrant de toute la passion contenue qui allie au vieil âge l'ardeur solaire de la jeunesse. Oui, le vieil Aschenbach meurt à son passé, renaissant quelque jours au feu d'un amour à distance, idyllique et tendre, avant que, par malchance, la mort réelle ne le rattrape, "tel que l'éternité en lui-même le change".

Cela pourrait nous inspirer une nouvelle définition de la mort, la vraie : la mort c'est ce qui empêche tout processus de renouvellement.

Publicité
Publicité
Commentaires
Newsletter
154 abonnés
Publicité
Derniers commentaires
Publicité