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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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10 février 2017

De la CERTITUDE : du "il y a" et de la mortalité

 

"La philosophie est une activité (energeia) qui par des discours et des raisonnements nous procure la vie heureuse". Activité de pensée qui agit par discours et raisonnements. Le discours est la mise en forme de la vérité, son exposition raisonnée, comme fait Epicure dans la Lettre à Hérodote qui présente le système du monde, ou comme dans la Lettre à Ménécée qui donne un exposé de la méthode du bonheur. Les raisonnements (logismoi) sont plus importants encore, c'est par eux que la connaissance peut se fonder sur le réel comme tel, dissiper les représentations vides ou mensongères, mettre en ordre les savoirs, d'où les discours trouveront leur source et leur validité. 

La persuasion ne suffit pas : elle est d'un effet précaire, son contenu est volatil, et le risque est grand, que sitôt accepté, il se dissolve dans la distraction. La conviction est supérieure, elle engage plus profondément, elle exprime une sorte d'unification intellectuelle, d'adhésion forte au savoir que la raison présente à l'âme connaissante. Mais elle même ne vaut rien sans la certitude qui la fonde. La certitude est un savoir qui se sait, un redoublement par lequel l'âme s'assure à travers la durée de la conformité de soi à soi. Question : existe-t-il une réalité dont nous puissions être sûr d'une certitude sans faille, perpétuellement vérifiable et hors d'atteinte du doute ?

Descartes dira : je doute, je pense, je suis. Le doute nous mettrait infailliblement en présence de la réalité incontestable de la pensée, laquelle, à son tour, révèlerait infailliblement la présence du sujet. Je ne suivrai pas cette piste, car l'existence du sujet ne me semble nullement attestée par ce raisonnement. Tout au plus peut-on dire : ça pense, donc quelque chose est, dont je ne sais rien, et qui pourrait ne pas être.

Les Anciens raisonnaient autrement. Pour eux "il y a", et sur ce "il y a" s'édifient toutes les formes du monde, y compris la pensée d'un hypothétique sujet. Ce "il y a " est tantôt exprimé dans les figures de l'Etre" (esti gar einai, Parménide), du Kosmos ("ce kosmos, le même pour tous", Héraclite), du Tout ("to Pan", Epicure). La seule donnée irréfutable, immédiatement présente à chaque vivant, c'est l'existence du "monde" - entendu ici comme réalité omni-englobante, sensible et perpétuelle, dans laquelle tout vivant est immédiatement et irréfutablement immergé. On ne partira pas de la pensée, chez Epicure, mais de la sensation, qui garantit, par le contact direct ou indirect, la présence d'un dehors qui est aussi un dedans, sans lequel aucune vie ne se peut concevoir.

Ou pourra dire : je sens la présence d'un il y a, c'est la certitude principielle sur laquelle je peux édifier mon existence. Remarquons que dans cette démarche la pensée se repose sur un préalable sensoriel et sensitif qui lui seul est incontestable. La pensée qui ne vient qu'après ne saurait avoir l'intensité et la certitude de la sensation. On aura beau reprocher à la sensation d'être imprécise, flottante et incertaine quant à ses contenus, on ne pourra jamais lui contester cette valeur première d'attestation : il y a quelque chose qui sent quelque chose, il y a un contact entre un organisme et un dehors, et la sensation serait-elle trompeuse qu'elle n'en témoigne pas moins d'un rapport immédiat qui témoigne du il y a. C'est selon cette perspective qu' Epicure dit que la sensation est toujours "vraie" : elle est effective, sensitive, affective, elle nous touche et par là garantit la présence du monde.

La première certitude, qui fonde la conviction, c'est donc ce "il y a".

Il y en a une seconde, mais dont le statut est étrangement difficile à penser. C'est que tous les vivants sont mortels, donc il est certain que je vais mourir. Mais autant il est facile d'admetre la présence immédiate du monde, autant cette nouvelle certitude est problématique. Comme on dit fort justement : je sais que je vais mourir mais je ne le crois pas. Ici l'affect et la pensée se séparent. Ce contenu rationnel, je l'admets, mais la réalité sensible du fait, j'ai de la peine à l'admettre. D'où les cultes des héros et des dieux, les prêtres et le marché de l'immortalité. Que peuvent les discours et les raisonnements ? Il faut interminablement reprendre la raisonnement, comme fit Lucrèce dans son livre pour établir la certitude de la mort à venir : quelque chose résiste, qui est le désir de vivre, jusqu'à ce que ce désir lui-même en vienne à s'affaiblir, à s'exténuer, et qu'enfin le sujet lassé de tout consente à quitter le séjour. Alors, oui, il éprouve la vérité de la certitude, il sait, il croit qu'il est mortel, il consent à la vérité, n'oppose plus de résistance, et peut-être même éprouve quelqu'amère satisfaction à se laisser glisser dans le trépas.

La question est : faut-il attendre l'heure dernière pour réaliser en soi cette vérité, pour l'inscrire comme une donnée du réel dans la psyché , Freud disait : si tu veux vivre prépare toi à mourir. Ce qui reprend assez bien les propos traditionnels de la philosophie antique, dont Montaigne se fait largement l'écho. Je constate, si je peux ici exprimer quelque chose de personnel, que cette inscription psychique entraîne une véritable révolution mentale : pourquoi courrir au loin, poursuivre les honneurs et la richesse, cultiver un nom destiné à fâner comme rose, si tout cela est déjà pourri, dissous par le temps ? Que reste-t-il ? Cette double certitude, de vivre dans l'orbe de la vaste nature, un court instant, et de la dissolution finale.

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