Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
Archives
Visiteurs
Depuis la création 1 056 491
3 janvier 2008

MIROIR, MON BEAU MIROIR !

On y revient toujours! Cela vous colle à la peau! Et quand voux croyez avoir trouvé une juste distance voilà que le spectre vous assaille par derrière!

"Ihr naht euch wieder, schwankende Gestalten

Die früh sich einst dem trüben Blick gezeigt." : Goethe : Faust Dédicace

A nouveau vous approchez, formes chancelantes

Vous qui jadis avez déjà troublé ma vue!

C'est ça le narcissisme. Ou du moins une de ses manifestations possibles. Car il en est bien d'autres, grossières ou raffinées, subtiles ou agrestes, théologiques ou sataniques. Le sujet humain pourrait-il se constituer sans l'aide trompeuse du miroir, quelles qu'en soient les modalités concrètes?

Il faut bien distinguer narcissisme primaire et secondaire. La nature exacte du narcisssisme primaire a été définitivement établie par Bela Grunberger, puis consolidée par les travaux de Didier Anzieu (Le moi-peau) et confirmée par Bergeret. Dans ma rubrique "Philothérapie" on pourra relire les articles "De l'illusion fondamentale" et " Le moi et la peau" où je rappelle les données fondamentales : le tout petit se construit dans l'orbe du maternel : "hanling et holding" (de Winnicott) sous la tutelle sécure et contenante d'une mère "suffisamment bonne". Il élabore de la sorte un peau somatopsychique, un peu lâche au début et peu différenciée, où la "confusion" avec l'entourage est inévitable sous les espèces d'une sorte d'élation euphorique ( je suis le monde) entrecoupée de chutes dépressives (je ne suis rien). Voire Mélanie klein, Winnicottn, Bion. Elation narcissique et effondrement momentané rythment naturellement la croissance du bébé dans les premiers mois. Ainsi se constitue cette illusion fondamentale, nécessaire et bienfaisante qui donne à l'infans une peau psychique, sans laquelle, à la manière du schizophrène, il serait jeté sans défense dans un monde hostile et persécutoire, privé de cette enveloppe indispensable qui lui permettrait de gérer les stimulations internes et externes. Le psychotique serait ainsi un moi sans véritable frontière ni limite, disloqué, morcelé dans un sorte de dissémination astrale, ce que nous révèlent en particulier les oeuvres peintes des schizophrènes.

Dans l'évolution dite normale, bénéficiant d'une structure de base sécure et solide, l'infans pourra aborder "la phase dépressive" (qui n' a rien de pathologique en soi mais marque un tournant décisif ) où il éprouvera physiquement et psychiquement la distance qui se fait entre lui et le contenant maternel dans l'expérience nécessaire et structurante d'une "perte" de l'objet absolu (externe, la "mère") s'il a pu constituer un bon objet interne (une présence maternelle intériorisée sous forme de fantasme fondateur), grâce à quoi il peut gérer les inévitables privations et frustrations de la vie. On voit encore une fois la nature de cette fameuse illusion fondamentale : nécessaire et protectrice, et en partie leurrante ("ma maman m'aime plus que tout"), mais d'un leurre bienfaisant et indispensable pour la croissance, avant d'éventuells remaniements ultérieurs, lors de l'Oedipe et à l'adolescence.

Le narcissisme secondaire définit la modalité imaginaire sous laquelle le sujet se posera comme personne séparée, individualisée, dans un corps propre et dans une image personnelle de son corps et de son Moi. Lacan a montré le rôle prégnant du "stade du miroir" (nous y voilà) comme moment structurant de l'image de soi : jubilation de l'infans devant l'image reconnue comme structure globale, unifée du corps, avec un coefficient élevé d'investissement érogène : " je suis la plus belle, je plais à maman, je me plais à moi-même"  "Ce soir je serai la plus belle pour aller danser". "Miroir mon beau miroir dis-moi qui est la plus belle de toute la contrée". A l'inverse on imaginera aisément la catastrophe que serait pour l'enfant le discours négatif de la mère, ou du père " Quelle horreur! Qu'elle est moche! On dirait un poux asilaire, un étron puant", - phallus négatif-anal d'une mère rejetante ou d'un milieu hostile. Ne vous offusquez pas, chers lecteurs! N'avez vous jamais entendu dire à telle femme "qu'elle chie des gosses"? Catastrophe narcissique, blessure purulente, effroyable plaie ouverte au coeur d'un moi en gestation, et qui passera sa misérable vie à essayer de se faire pardonner son existence, tolérer sa présence, justifier ses choix, dans une horrible dépendance à l'autre, objet d'amour inaccessible, souverain dépositaire du bien et du mal. C'est ainsi que l'on verra Balzac, rejeté, placé en internat, passer sa vie en "forçat de la littérature" pour tenter de se concilier une mère à jamais insatisfaite et abandonnique. C'est ce que j'appelle le complexe de Balzac.

A partir de là on pourra mieux faire la différence  entre les pathologies banalement névrotiques de tout un chacun, à qui il manque toujours quelque chose pour restaurer un narcissisme défaillant et qui cherche dans l'autre confirmation, justification, reconnaissance, amour et acceptation. Qui pourrait se vanter qu'il n' a jamais besoin de ces ingrédients indispensables à l'estime de soi, sans laquelle on n' a aucune motivation dans l'existence.(Voir la dépression). Qui ne cherche à plaire, à sa femme, à sa maîtresse, à son patron, à l'opinion publique, à la postérité même? C'est humain comme on dit, et ce narcissisme-là n'a rien de déshonorant, s'il reste dans certaines limites socialement acceptables. On appellera hystérique, histrionique, égocentrique, cabochard, vantard, vaniteux, prétentieux celui qui ne respecte pas ces limites convenues de l'exhibition de soi, mais sans plus. Agaçant, insupportable, le personnage déplaît à certains et séduit d'autres. On s'y reconnaît partiellement soi-même, d'où le mélage d'irritation et de complaisance. Voir le culte des stars, ces garants publics du narcissisme individuel.

Ces pathologies-là restent finalement bénignes. C'est la névrose, la normopathie ordinaire, ingrédient quasi sacré de la névrose ordinaire. Comme le mensonge, on s'en plaint, mais on en vit et on en jouit. Pas de société sans hystérie et sans mensonge.

La pathologie proprement narcissique c'est tout autre chose : il faut revenir au narcissisme primaire, à ses vacillations, voire à ses lacunes pour comprendre. Cela se construit dans les premières années de la vie. Ce n'est pas exactement la psychose : le défaillant narcissique ne délire pas, il peut paraître socialement adapté, mais dans sa structure de base il y a un trou béant, une "hémorrhagie" (freud) que rien ne semble pouvoir combler. Tonneau des Danaïdes. seau percé. Insatisfaction chronique, sensation perpétuelle de vide intérieur, de manque indicible, de soif illimitée, boulimie, angoisse, d'où la prolifération des conduites addictives (Alcool, drogues, sexe, exhibition compulsive, dépenses hypomaniaques, vampirisme, cannibalisme alimentaire ou sexuel, messalinisme, nymphomanie etc). La consommation clastique apaise un moment l'angoisse, mais c'est pour précipiter le sujet dans la culpabilité : le coït triste qui laisse un mauvais goût dans la bouche, la terreur de grossir chez la boulimique, l'enfer des émotions contradictoires, jamais apaisantes et que l'on va noyer dans l'alcool et la drogue : cercle infernal, samsâra bouddhique du manque, du vide, de l'angoisse insupportable, de la consommation frénétique, du dégoût, de la haine de soi, de la culpabilité, de la mortification, du châtiment, de l'autopunition, jusqu'au tour suivant, ou jusqu'au suicide.

La pathologie narcissique c'est : une faille structurelle du Moi, le trou hémorrhagique, la sensation d'anxiété généralisée sur fond de manque existentiel, l'insatisfaction chronique et le sentiment d'abandon perpétuel, la conviction quasi délirante de sa propre insuffisance ou à l'inverse mégalomanie galopante avec chutes de l'estime de soi, - en somme une dépressivité fondamentale, parfois visible, parfois masquée, mais toujours présente.

On comprendra dès lors qu'il est bien nécessaire de distinguer la petite pathologie névrotique de la vraie , dont le pronostic est peu encarageant et qui nécessite des formes originales et renouvelées de traitement  psychique. Je me suis longuement étendu sur ce sujet dans le livre ici publié dans la rubrique Editions I : "Philosophie du borderline" et bien entendu dans l'ouvrage paru ces jours-ci : "Lettres à mon analyste sur la dépression et la fin d'analyse". Le lecteur pourra y trouver de plus amples développements, et s'il le juge utile, m'interroger sur le blog. Je me suis donné pour règle de répondre aux questions des lecteurs lorsqu'elles sont sensées et non extravagantes. GK

Publicité
Publicité
Commentaires
Newsletter
153 abonnés
Publicité
Derniers commentaires
Publicité