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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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24 août 2007

De L'illusion fondamentale

L'illusion n'est pas l'erreur. L'erreur peut se corriger, par l'observation empirique, le raisonnement logique ou l'expérimentation scientifique. Il en va tout autrement de l'illusion, qui ne se corrige que difficilement, voire jamais, qui ne s'origine pas de la perception mais de l'imaginaire et qui à ce titre peut résister fort longtemps aux épreuves de la réalité. C'est la persistance du fantasme, aux souces de la construction illusionnante, qui semble le mieux expliquer cette incroyable plasticité, résistance, mobililité, ces incompréhensibles dérivations, déplacements et métamorphoses de l'illusion. Hydre aux mille têtes, j'ai beau couper, élaguer, déraciner, cela repousse toujours, rhizome et rayonne malgré mes bonnes volontés  de réforme.

Nous avons donc une série : fantasme inconscient comme support du désir inconscient, ignorance, voir dénégation du principe de réalité, prolifération imaginaire, rêves nocturnes ou rêveries diurnes, espérance et crainte et pour finir tout l'arsenal de la passion. On comprend que la plupart des sagesses traditionnelles sont parties en guerre contre l'illusion ( épicurisme, stoïcisme, platonisme, cynisme, rationalisme etc) On comprend aussi l'extrème faiblesse des résultats : l'amoureux continue d'aimer (Alceste), l'ivrogne de boire, le fumeur de fumer, l'ambitieux d'ambitionner, et l'avare de thésauriser.

La philosophie ayant échoué, c'est la psychanalyse qui a pris le relai, avec, il faut bien le reconnaître, des armes infiniment plus efficaces. Freud établit la cause des fantasmes dans le désir, dont il déclare par ailleurs qu'il est "indestructible". Il montre comment le principe de réalité est en fait subtilement perverti par le plaisir de plaisir, plus fort que tout, qui détourne la réalite en s'y adaptant, pour son propre bénéfice (l'histoire des trois petits cochons). Bref l'homme se cabre des quatre fers pour maintenir le primat du principe de plaisir et donc dénier au moins partiellement les réalités qui lui déplaisent. "Je conprends bien, mais   " . Par exemple : "je sais que tout le monde meurt, mais quant à moi , je ne le crois pas  " Et à l'extrême, nous avons le déni psychotique : "Mon fils n'est pas mort, je continue de le nourrir dans sa chambre, je lui parle et il me répond." (C'est le scénario d'une belle pièce intitulée : qui a peur de Virginia Wolf"). On comprend mieux l'échec de l'approche rationaliste qui surévalue la puissance de la raison sur les sentiments. Et on sait aujourd'hui que le cerveau limbique est à peu près insensible aux idées du cerveau cortical. Il ne suffit pas de reconnaître ses désirs pour s'en affranchir ET ALLONS PLUS LOIN, et contre Freud et Lacan, constatons que la compréhension des symptômes et même de leur cause ne guérit en rien celui qui souffre. Le thérapeute sensé concluera qu'il est vain de vouloir supprimer le symptôme mais qu'il vaut mieux apprendre à cohabiter intelligeamment et souplement avec lui (Position de Groddek). Plutôt que de viser une improbable guérison on aidera le patient à comprendre, aménager, ruser, utiliser, "composer avec le mal".

Voilà pour les névroses et l'approche classique de la question à la suite de Freud. Mais qu'en est-il pour la mélancolie et les états dépressifs récurrents? Je crains qu'il nous faille renverser complètement une analyse qui semblait par ailleurs si satisfaisante pour l'esprit. Notons que Freud lui-même avait eu conscience du problème, l'avait honnêtement mentionné, mais s'était arrêté en route.

Freud pensait que l'analyse de la mélancolie pouvait progresser si on s'appuyait sur l'ananlyse du deuil. En effet, qu'est ce qu'un mélancolique sinon un endeuillé perpétuel qui pleure interminablement un objet perdu. Mais quel objet? Freud remarquait fort justement que le mélancolique sait parfaitement "qui" il a perdu, mais ne sait pas dire "ce" qu'il a perdu dans cette perte! Dès lors sa vie est un éternel "ennui", et tel Orphée il chante interminablment la complainte de l'amour mort.

Paradoxe: qu'y at-il de plus vivant qu'un amour mort qu'on pleure sans terme possible, au point que la vie même se confonde en quelque sorte avec la souffrance bien vivante d'un deuil impossible? On comprend que la mélancolie soit la bête noire du psychanalyste, impuissant à fournir le moindre réconfort à quelqu'un qui ne sait pas de quoi il souffre. (Là où le névrosé se plaindra d'éjaculation précoce, de frigidité, d'impuissance, de douleurs somatiques erratiques ou de phobies d'araignées);Le mélancolique ne se plaint plus : il est devenu plainte, et cela est insupportable et mine la bonne volonté de l'entourage.

Le renversement vient de Mélanie Klein, à la suite de Karl Abraham et de Ferenczy, ses deux analystes successifs. Elle découvre la cause de la souffrance mélancolique-dépressive dans un paradoxe renversant: le mélancolique ne pleure pas un objet perdu, mais tout au contraire souffre de l'absence radicale d'un bon objet interne! En d'autres termes, là où la plupart des enfants ont connu une bonne contenace maternelle qui leur a permis de construire un bon objet, entendons un fondement solide de confiance et de sécurité psychique dans la relation avec l'entourage, voilà une structure psychique perforée où la carence affective, la crainte de l'abandon, la privation réelle ou imaginaire a créé une disposition anxieuse, voire quasi psychotique : à la place de la bienfaisante illusion constitutive et nécessaire, j'y insiste, qui conditionnera les apprentissages positifs de la réalité nous trouvons une faille structurelle, une sorte de trou béant, "hémorragie narcissique" avait déjà reconnu Freud, par où s'écoulent l'énergie psychique et les forces créatrices. D'une certaine manière le mélancolique ne vient pas au monde car ce monde lui apparaît d'emblée inhabitable, vide, mais d'un vide structurel et donc incomblable. D'où la conséquence pratique, celle qui choque tout analyste freudien, sans parler des lacaniens : l'analyse ne consistera pas à frustrer un désir envahissant et mal intégré, mais tout au contraire à reprendre le maternage à la base pour tenter de mettre en place ce qui n'a jamis existé : un bon objet interne, une sentiment positif de présence inconditionnel de la mère, d'amour et d'acceptation! A cet enfant qui se vit comme mauvais, haï et solitaire dans un monde sans âme, désert et abondonnique, le thérapeute, par la parole, l'écoute inconditionnelle et parfois une sorte de maternage psychique, va "fournir, donner, alimenter" en quelque sorte le fondement existentiel, affectif et symbolique dont il a besoin.

Il est remarquable que cette analyse, présentée ici assez succinctement, ait été reprise, approfondie et partiellemnt modifiée par Winnicott, pédiatre à l'origine, qui par delà Melanie Klein inventera toute une batterie de concepts et de pratiques pour réaliser dans les faits le programme de reconstruction ébauché par M.Klein. Toucher le bébé, le tenir, lui fournir une "maintenance" sensible, perceptive-affective (le Handling), le bercer, lui chanter, lui sourire, lui donner une sorte de consistance fondamentale (le Holding), et surtout lui donner sa juste place symbolique sans le martyriser ni l'idolâtrer: bref, et disons-le tout net, la mère va créer dans sa relation avec l'enfant (la mère "sufisamment bonne") une ILLUSION fondamentale de bonne contenance, une sorte de peau psychique ( Voir Anzieu: le Moi-peau) qui lui permettra, et de trouver le monde habitable et intéressant, et de supporter sans trop de casse les inévitables privations et frustrations de la croissance. Quoi qu'il advienne par la suite l'enfant aura connu l'amour et l'acceptation inconditionnelles, conditions de croissance et de maturation. Quant à l'Illusion fondamentale elle va bien sûr s'écorner quelque peu au fil des déceptions, mais sans perdre tout à fait son caractère protecteur et signifiant. Dans la même veine le psychanalyste Erik Erikson remarque que dès la phase orale on voit la différence entre un enfant qui est habité par la tranquille assurance de soi, et l'autre qui est habité par le doute! Heureusement ce n'est pas un destin, une fatalité, mais une potentialité, une probabilité qui peut se rectifier par la psychothérapie, à condition de ne pas attendre cinquante ans pour l'entreprendre!

Voilà, chers amis, un article que je médite depuis plusieurs jours et qui me semble d'une incalculable importance! Si tout cela est vrai cela explique deux choses : pourquoi chez la plupart des hommes l'illusion de désir est indéracinable, et ajoutons, nécessaire pour vivre. On voit bien ce que donne la dépression qui n'est au fond pas autre chose qu'une déconstructiuon subite de l'illusion constitutive, et qui à ce titre est la fois redoutable et nécessaitre elle aussi pour permettre une certaine adaptation au social et à la réalité. Mais s'il est de "bonnes" dépressions, celles qui permettent de réamenager notre vision du monde dans le sens de la modestie et du réalisme, sachons que le désir se maintient en principe dans son fondement, mais se "corrige" un peu au contact des faits et des hommes. Deuxième point : la mélancolie nous offre le tableau inverse d'une absence d'illusion qui est une véritable catastrohe psychique qu'on ne peut compenser en partie que par la création thérapeutique d'un substitut d' illusion fondamentale. On ne peut demander à un mélancolique qui n' a pas de bon objet interne d'en faire le deuil. Et l'on comprend du coup les ravages d'une certaine "psychanalyse" qui ne rêve que de "castration signifiante", de "désêtre" subjectif et autres âneries qui ne seraient que grotesques si elles n'étaient criminelles.

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