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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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21 septembre 2009

DE L' ENFANT MERVEILLEUX : anatomie d'un fantasme

Dans un ouvrage célèbre, Serge Leclaire ("On tue un enfant"), étudiait cette persistance troublante de l'image de l'enfant idéal que nous portons en nous, certains plus que d'autres, bien sûr, et qui détermine les ravages les plus persistants, et les exaltations les plus folles dans sa liaison inconsciente au fantasme. Enfant idéal, enfant merveilleux, qu'est-ce à dire? Il faut revenir aux premiers âges de la vie pour en saisir l'occurrence fatale.

Je parle ici de mémoire, étant de longtemps incapable de lire, et de relire les textes qui m'ont marqué. Mais mon incertitude de mémoire, et cette regrettable incapacité de lecture, sont heureusement compensées par une large expérience de la vie psychique et de ses innombrables accointances. D'où il ressort que si je cite de travers, et que je rends compte assez imparfaitement de certaines théories, l'essentiel me semble toujours disponible, présent dans une réexposition personnelle. Quand j'ai lu ce livre j'en ai apprécié l'originalité critique, mais je n'étais pas en mesure d'en percevoir toute la portée, quant à l'appréciation exacte des faits.

L'enfant merveilleux est un effet de la relation narcissique de la mère à son enfant, et inversement. La jeune maman, toute émerveillée d'avoir engendré ce beau bébé tout rose, ce bel objet d'amour, cette "merveille", regarde cet enfant avec les yeux les plus tendres, le regard le plus accueillant, dans une sorte d'émoi ("et moi") ébloui, de fascination, de trouble passionnel. Regard narcissique, car en lui elle se regarde tout aussi bien, retrouvant le bel enfant qu'elle a peut-être été pour sa propre mère, et fière au delà de toute raison d'avoir su engendrer précisément cet être là dont la vision la comble et la ravit. Quant à l'enfant, quoi de plus exaltant, de plus jouissif, de plus jubilatoire que ce regard maternel toute entier voué à sa dévotion, à  sa divinisation! Ainsi, dans une réciprocité sans faille, absolue et fusionnelle, se réalise, pour un temps, la satisfaction indépassable du désir le plus originel et le plus tenace : être tout pour l'autre, qui est moi.

Ce désir se brise inévitablement sur la réalité : la mère toute aimante, tout-acceptante se révèlera tantôt acariâtre, indisponible, fatiguée, rejetante, privante et frustrante. Il faudra composer avec une alternance d'accueil et de rejet, de plaisir et de déplaisir, fondement inévitable et nécessaire de la famause ambivalence des sentiments, qui nous met au régime d'une incertitude, d'une variabilité des relations humaines, d'un coefficient d'agressivité inévitable dans tout amour. Et puis, si la maman nous adore, qu'en est-il du père, amant de la mère, des frères et soeurs, toujours rivaux dans la conquête de l'amour, des camarades et autres enfants, tous exigeant la même acceptation sans réserve? L'enfant merveilleux, fruit d'un fantasme indélogeable, s'en va croupir au fond de l'inconscient, d'où, comme les Titans refoulés de la mythologie, ils continuent d'exiger retour et satisfaction.

Conséquence : extérieurement, il le faut bien, chacun s'adapte peu ou prou à la réalité, et comme on dit, met un mouchoir sur son désir. Au Moi Idéal, décidément inaccessible, on superposera un Idéal du Moi, plus réaliste, plus mesuré, moins extravagant, puisqu'il faut bien conserver l'amour et la protection parentale et que, décidément, il devient impossible de se faire accepter selon la logique du Tout-Amour, dans une demande inconditionnelle et mégalomaniaque. Chacun refait, à sa manière, et selon sa politique privée, le choix de Henri de Navarre : "Paris vaut bien une messe". Sauvons l'essentiel, qui est la survie, et remettons à plus tard la satisfaction du désir originel.

Et ici les choses se compliquent. Ce désir n'est pas éteint. D'ailleurs le sera-t-il jamais? Et faut-il vraiment souhaiter sa disparition définitive? Quoi qu'il en soit, l'expérience le montre chaque jour, c'est de l'amour à venir, de la rencontre amoureuse, de la passion amoureuse que chacun attend que se ralise à nouveau,  enfin, cet idéal de la totale disponibilité, de la totale acceptation que seule la mère a su donner quelque temps, dans une enfance perdue, mais non oubliée. Comment expliquer autrement l'exigence de fidélité, d'amour inconditionnel, exclusif qui fait le fondement ordinaire du contrat d'amour? "Si tu m'aimes tu ne me quitteras pas, tu ne désireras pas les autres femmes -ou hommes-, tu resteras à jamais à mes côtés, l'un et l'autre comme soudés dans l'union parfaite des amants (des mamnans?)". On promet, car on est sincère, car on espére que le vieux rêve du Prince Charmant, ou de la Parfaite Amante se réalise enfin, on espére effacer d'un coup tant d'années d'attente, de déception et de douleur, vivre enfin de l'authentique vie du désir. Le Moi Idéal refleurit merveilleusement - puis se fâne, presque toujours, puisque la réalité, décidément, ne se plie pas à nos fantasmes!

On remarquera que l'acte deux, avec des variantes et des aménagements,  réitère scrupuleusement le premier : mêmes causes, mêmes effets. C'est bien en ce sens qu'il n' y a pas d'amour heureux. Et de nos jours on se sépare au bout de deux ans, considérant qu'on a fait une mauvaise affaire, quitte à recommencer encore et encore, avec le même acharnement et la même déception. Sauf si, ô miracle, on découvre que ce n'est pas forcément le partenaire qui est en cause, mais la loi de réalité. Comme disaient les Grecs : Anangkè, la nécessité universelle.

En théorie l'issue consiste à réduire les exigences du Moi Idéal, donc à calmer les ardeurs de l'enfant merveilleux, pour intégrer une certaine loi d'adaptation positive, se décentrant de soi pour s'ouvrir à la personne réelle de l'autre, et des autres. Ou, en d'autres termes, à réaménager le narcissisme selon la loi symbolique de l'échange. Tout cela est parfaitement vrai, et nécessaire. C'est même réalisable, au prix de renoncements qui peuvent se révéler positifs et maturatifs. Pour autant, l'inconscient ne semble pas se comporter de la sorte. Il accepte, mais il refuse. Il consent, mais il renâcle. Et parfois il se révolte pour de  bon, et c'est la crise de croissance, le déni, l'agressivité, la hargne, et la violence. Bref, l'enfant merveilleux est toujours là, et qui veut, et qui s'obstine à vouloir.

Je ne crois pas à la solution du refoulement. Je soutiens qu'il est dangereux de faire la sourde oreille et de procéder à un nouveau clivage, qui ne fait que renforcer, éterniser le conflit en le masquant. Il vaut mieux prendre acte : nous ne sommes pas  des saints, cela se saurait, et surtout se verrait. Accueillir, accepter de dialoguer avec l'inconscient, cela vaut mieux.

Et puis il y a autre choses encore : l'enfant merveilleux je le vois dans les oeuvres d'art, si merveilleusement vouées à l'illusion consentie, acceptée, voire glorifiée. L'artiste fait ce que nous ne pouvons nous permettre, dans ses créations en tout cas. Comment expliquer autrement la fascination de telles oeuvres, absolument divines dans leur perfection, leur aura olympienne, leur splendeur inaltérable? Face au réel, l'oeuvre, du moins certaines, pas toutes, évidemment, édifient le temple de la totale béatitude, où nous puisons ressource, consolation, remède et courage. Et peut-être, ô scandale pour la pensée! - ce que nous appelons sagesse n'est elle qu'une variante sublimée, idéalisée, "esthétique", de ce vieux désir de perfection subjective, et d'immortalité?

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Commentaires
O
L'analysant : "Docteur, je me sens clivé, schizé, déchiré, en voie d'éparpillement..."<br /> <br /> L'analyste : "Je vais vous faire un tarif Groupe."
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G
Je ne pense pas un instant que Diogène manquât d'intelligence. Il s'agit là d'options fondamentales. Entre substantialisme et non-substantialisme il faut choisir. Pour moi l'affaire est règlée depuis longtemps. GK
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R
Platon discourait à propos des Idées et parlait de la "table en soi", de la "tasse en soi"; Diogène remarqua : "Mon cher Platon, je vois bien la table et la tasse, mais pas du tout ton idée de table ou de tasse!" <br /> <br /> "Avec raison, répliqua Platon ; tu as en effet les yeux qu'il faut pour voir une tasse et une table, mais pas l'intelligence pour apercevoir la Table et la Tasse!."<br /> <br /> Existence sans essence, Essence sans existence.
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G
Quand vous dites qu'il ne faut pas substantiver l'inconscient, et que cette opération peut mener à une dépossession je suis entièrement d'accord. il ne faut rien substantiver, ni l'inconscient, ni la conscience, ni le sujet, ni quoi que ce soit dans le monde. Il n'existe, selon moi, que des apparitions et disparitions de forces, sans que rien ne fasse jamais substance stable et durable. D'où la ruine de toute philosophie de type platonnicien ou cartésien. GK
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P
Il y a un monde entre admettre la foule des processus (biologiques, psychiques, sociaux) qui échappent à notre conscience et déterminent le fonctionnement de notre esprit ainsi que nos actes et postuler l'existence d’une entité appelé « inconscient » qui prendrait les commande et constituerait le véritable sujet ou encore qui détiendrait la Vérité. (« Wo es war soll ich werden ») L'erreur de Freud, c'est précisément d'avoir substantivé le terme « inconscient » et séparer le sujet pour en faire un autre « soi » que soi-même, qui pense, ressent et agit. Et voyez où nous conduit la conception chamanique freudienne : tout sujet est nécessairement dépossédé de lui-même et ne peut se connaître que par l’intermédiaire de l’interprète, du grand sorcier psychanalyste (qui, lui, fait exception, bien sur) soit la posture classique du gourou ou du Maître. <br /> Par contre, qu’il y ait des tensions ou des conflits entre les différentes forces en présence, que cela ait du mal à s’harmoniser, là, je suis d’accord. Mais c’est valable également pour ce qui concerne notre rapport avec la réalité extérieure. Fondamentalement, que désirons-nous si ce n’est le beurre, l’argent du beurre et en prime le cul de la crémière ? Les plus talentueux y parviendront.
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