DE l' ANIMA

Deux événements majeurs façonnent le développement initial de la psychanalyse, chez les deux principaux fondateurs, Freud et Jung. Après bien des tâtonnements Freud renonce à l'explication "historique" de la névrose pour mettre au premier plan le rôle déterminant du fantasme à la place d'un événement sexuel traumatique, jusque là supposé cause de la pathologie. Toutes les femmes, ou presque, se plaignant d'un viol paternel en analyse, il fallait bien faire la part des choses et reconnaître la prédominance causale du fantasme dans la constitution de l'hystérie. De son côté, après sa rupture avec Freud, Jung sombre pour plusieurs années dans une terrible dépression dont il sortira, définitivement séparé de la théorie freudienne, et en possession d'une nouvelle approche analytique. Pendant cette douloureuse période de doute et d'incertitude il fait la rencontre d'une analysante particulièrement perturbée, mais remarquablement douée, qu'il soignera quelque temps, mais au prix d'un contretransfert redoutable, auquel il finit par céder. Les amours étranges de Jung et de Sabrina Spielrein ont fait le thème d'un film récent, dont j'ai malheureusement oublié le titre, dans une merveilleuse mise en scène inspirée de l'oeuvre même de Sabrina "Entre Jung et Freud", publiée depuis peu. De cette expérience bouleversante et finalement malheureuse Jung tirera la théorie de L'Anima, qui figurera dorénavant au centre de sa pensée et de son expérience de praticien.

Cette affaire concerne essentiellemnt l'inconscient de l'homme masculin. Suite à son éducation qui valorise l'affirmation du moi, les tendances phalliques et l'esprit de compétition, l'homme se fabrique presque inévitablement un persoonage "viril" à l'image des hommes de son entourage, plus exactement une "persona", c'est à dire un masque de virilé agressive et compétitive, fort utile sur le plan social mais fort coûteuse sur le plan psychologique. Rappelons que "persona" désignait en latin le masque de l'acteur qui dissimulait le visage mais laissait passer le son (sona) par le trou au niveau de la bouche. Persona est une effigie, une apparence, un rôle de composition si l'on veut, essentiellemnt aliéné aux exigences sociales. le bon professeur, le bon professionnel, le bon père de famille etc. Derrière ce masque, c'est l'acteur, en tant que sujet psychologique, mais presque toujours réduit au silence, cadenassé, forclos ou au mieux refoulé. Dans un premier temps jung opposera l'Ombre à la persona : entendons: l'Ombre c'est la part obscure, inconsciente, refoulée, silencieuse de la personnalité, que l'on peut découvrir brusquement dans un rencontre inopinée, bouleversante: relisons le roman de Hermann Hesse : Demian, qui présente admirablement le cas d'un garçon "bien" sous tous rapports, bien élevé, bon catholique, bon élève, qui fait la rencontre d'un mauvais drôle insolent, cabochard et quelque peu pervers, en tombe en quelque sorte amoureux, fasciné par l'étrange, l'étranger, le hors-norme et la liberté débridée du personnage, avant de découvrir que dans Demian il ne voyait que sa propre personnalité masquée, refoulée, son propre esprit d' aventure et de rébellon contre la pesanteur des traditions éducatives. Cette première opposition est aisée à comprendre et à vérifier dans l'expérience de chaque adolescent tenté par le diable et fasciné par la puissance subversive du désir inconscient. (Voire Rimbaud)

La rencontre de l'Anima, c'est tout autre chose. Imaginons que notre homme ait assez bien intégré l'Ombre dans son image de soi. On pourrait penser que le voilà armé pour l'existence, capable de gérer ses émotions et ses pulsions dans une lutte harmonique entre la persona et l'ombre. Jusque là d'ailleurs, pas de séparation bien nette entre Jung et Freud, vocabulaire mis à part. La découverte de l'Anima c'est l'aventure psychique de l'homme Carl Gustav Jung, avant de devenir un poncif psychanalytique. De quoi s'agit-il?