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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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28 octobre 2019

DU LIVRE INTROUVABLE

 

 

Une librairie. Je demande à une dame si elle possède en rayon un livre qui s’intitule « Pyrrhon ». Oui, dit-elle, et elle me tend un grimoire poussiéreux sur lequel figure bien le nom de Pyrrhon. Je le feuillette rapidement, et je vois qu’en fait c’est un livre religieux farci de références christiques et patristiques. « Ce n’est pas ce que cherche, Madame » et je lui rends le livre. Mais alors je me demande quel pourrait bien être le livre que je cherche, sachant que Pyrrhon n’a rien écrit. Ce ne peut être qu’une étude sur le personnage et la pensée de Pyrrhon, mais je ne puis trouver laquelle. - Là-dessus je me réveille.

C’était un de ces rêves très particuliers que l’on fait juste avant le réveil, et dont on se souvient très bien, si toutefois on prend la peine de les évoquer. En général ils sont plutôt superficiels comme si à travers eux la conscience se préparait aux activités du jour. Rêver d’un livre, pour quelqu’un qui écrit, quoi de plus naturel, d’un livre qui ne semble pas vraiment exister (Pyrrhon n’a rien écrit – on ne sait de quel livre il s’agit). Ce livre qui n’existe pas serait-il le livre qu’il faudrait écrire ? En ce cas le rêve est un encouragement à retourner au travail, en dépit des doutes, du découragement et de la fatigue où je suis depuis quelque temps ?

Mais pourquoi Pyrrhon ? Hier au soir je regardais, à la télévision, l’interview d’une actrice. On lui demande : «Quel personnage du passé aimeriez-vous rencontrer personnellement ? » -  réponse : « Jésus ». Je me pose la même question à moi-même, et je réponds : « Pyrrhon ». Voilà qui donne évidemment la matière du rêve que j’ai rapporté, le livre religieux que je refuse, et l’autre qui reste introuvable.

Mais à tout prendre ni Jésus ni Pyrrhon n’ont écrit, ni Confucius ni Bouddha. Ce sont des hommes de parole. Celui qui parle a toujours une longueur d’avance sur celui qui écrit, et, comme la parole s’envole, ils sont à jamais irréfutables. Je puis bien écrire sur Pyrrhon, ce que j’écris vaut plutôt pour moi que pour lui.

A cette même question : quel personnage du passé aimeriez-vous rencontrer personnellement ? J’aurais répondu, adolescent, « Alexandre le Grand ». Quand on songe que Pyrrhon a suivi Alexandre en Asie, qu’il en est revenu « plein d’usage et raison » alors que le roi mourra de fièvre à Babylone, on voit que la boucle est bouclée, que le rêve héroïque du jeune homme s’est transmué en amour de la sagesse, non sans désabusement. Nos rêves nous portent et nous inspirent, ils ont leur vérité, mais ils ne sont que la moitié de la vérité. L’autre moitié vient de la lucidité.

Au total je n’écrirai pas de livre sur Pyrrhon. D’autres l’ont fait, encore que rares. Je me contenterai de feuilleter de ci de là dans le jardin de la philosophie, comme on feuillette un livre, mais attentif plus encore à capter la parole perdue de ceux qui n’ont pas écrit : ce manque est peut-être plus structurant que tous les traités de philosophie.

 

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