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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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26 août 2019

PASSAGERETE : Sous le pont Mirabeau

 

Passagèreté ! Voici un terme un peu spécieux, mais expressif. Tout le monde comprend instantanément ce qu'il signifie. Mais on ne voit pas d'emblée son extension maximale. Chacun est un passager sur la barque de la vie, mais la vie elle-même est passagère, et toute chose vivante est passage.

Passagèreté exprime le caractère propre de ce qui passe, qui ne se voit guère au moment de la perception, et qui pour apparaître, demande la comparaison entre ce qui apparaissait hier et ce qui apparaît aujourd'hui. Ces rides sur le visage, cette lenteur du mouvement, cette gêne organique, mais aussi cette nouvelle intelligence des choses, tout cela n'existait pas hier, et je le vois avec évidence aujourd'hui. Et demain sera autre encore. Passagèreté.

    "Passent les jours et passent les semaines

               Ni temps passé

            Ni les amours reviennent

     Sous le pont Mirabeau coule la Seine".

La nostalgie est cette passion triste de l'attachement, qui se désole de la distance infranchissable, de l'impossibilité d'arrêter le temps, lequel nous entraîne au loin de l'objet aimé. Le temps continue de courir, mais l'esprit le refuse et se bloque. Plus qu'une banale douleur c'est une métaphysique : au delà de l'objet c'est l'hypostase de toutes nos aspirations, bonheur et immortalité, à quoi nous nous cramponnons, jusqu'au moment où l'esprit excédé d'espoir et de désespoir, finit par tout lâcher. Alors la vie psychique retrouve sa fluidité.

Passagèreté signifie la perte de nos objets d'amour, la douleur de l'insatisfaction, mais aussi la fin de la douleur. Certes non la fin de toute douleur, mais la chance d'en finir avec certaines douleurs d'attachement. Tel qui souffrait mille morts du décès de son épouse, un matin se réveille et voit qu'il ne souffre plus. C'est passé, c'est du passé. A y regarder de plus près, voilà une étrange guérison car le sujet ne revient pas du tout à la situation antérieure à la perte. L'expérience vécue n'est pas annulée, rien n'est oublié, le sujet conserve en soi l'image de l'autre, mais c'est la douleur qui prend fin. La guérison n'est pas suppression, ni refoulement, mais déplacement. Déplacement dans le temps, déplacement des affects. Retour à la plasticité, à la mobilité. 

Sous le pont Mirabeau coule la Seine, et le pont rompt ses amarres et va au fil de l'eau, jusqu'à la mer, et vogue et vogue à l'infini. Eh quoi camarades, allons puisqu'on ne peut qu'aller, ne faisons pas trop la fine bouche, mais allons ! Dans les profondeurs insondables rôdent d'étranges créatures, et le ciel, souvent, est lourd d'orages, mais nous, camarades, nous aimons la surface bleutée qui s'étire, et les îles, et les ports, et les avenues innombrables de terre et de mer ! Et cela nous suffit.

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Commentaires
A
Oui, la passagèrete signifie la perte et ça, c´est très difficil d´assumer, de supporter, d´endurer , mais...<br /> <br /> <br /> <br /> rapellez vous de ce qui a écrit Mika Waltari: "Il n´y avait pas de concept plus terriefiant que celui de la vie étternelle (si l´on se donnait la peine d´y réfléchir vraiment"). <br /> <br /> <br /> <br /> Le temps passe et nous sommes les éphémères passagères de la rivière temps. Il faut en profiter pendant que nous y naviguons. Au moins, il faut essayer. <br /> <br /> <br /> <br /> Merci Guy de votre blog plein de promenades philosophiques.
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X
Cet écoulement universel me semble bien ennuyeux à vivre et à penser, je préfère danser sur le pont d'Avignon...
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S
Cher Guy,<br /> <br /> <br /> <br /> Magnifique page! Elle me suggère que la mélancolie est un chagrin dilué. <br /> <br /> <br /> <br /> Amitiés,<br /> <br /> <br /> <br /> Frédéric
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G
Je me suis laissé emporter par la sensation de l'écoulement universel, comme, enfant, regardant l'eau couler depuis le pont, je me sentais partir en bateau. A ce moment-là qui est fixe sur place et qui est voyageant ? <br /> <br /> Merci, chers amis, pour ces beaux commentaires.
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Y
mais pourquoi le pont rompt-il ses amarres au juste ? Ne sert-il pas à permettre au passant de passer au dessus du temps qui s'écoule, donnant l'illusion de ne pas être emporté par le courant, se tenir sur le pont et regarder mon visage se refléter sur la rivière calme ou agitée.. Tout comme le destin du fleuve est de passer, le notre l'est également, sauf à penser que nous pourrions tout juste en être les observateurs externes ? A l'image de ces ponts emportés par la tempête voilà quelques années par les torrents pyrénéens, nous finirons également par l'être plus ou moins violemment.
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