POESIE TRAVERSIERE / LIVRE II
LIVRE DEUX
I
Perpétuellement vif et neuf
Comme un furet rebondissant
A demi orphelin, à demi veuf
Il court au bois verdissant
Il n’est d’aucune contrée connue
Il n’est d’aucune secte ou ligue
Il va son chemin sous la nue
Par la ravine et la garrigue
Il porte au cœur un joyau blanc
Il n’a ni peur ni arrogance
Par instant il chevauche le vent
Folle sagesse, héroïque démence
Il n’a cure de ce qui est
Il ne s’accroche à nulle image
Par l’enfer rouge et le ciel violet
Il trace à mesure ce sillage
Poème blanc qui disparaît.
II
Fraîcheur embuée du matin
Tout entier je suis fondu
Dans une goutte de rosée.
III
Ah me dissoudre enfin
Sans reste
Dans la lumière pulvérisée !
IV
Le soleil me regarde
Je regarde le soleil
Ah n’être plus que regard
Un seul regard déqualifié !
V
Du fond sans fond
Monte la voix chère qui n’est pas tue
Ah que la vie est difficile !
Douce neige, fleurs qui palpitent
Présent, passé, n’êtes vous que d’hiver ?
VI
Je tombe, je tombe
Icare sous les jets des soleils
Etêté
Ventre éclaté
Je danse, je danse
Dans le sans fond je danse
Ni haut ni bas
Sans bords ! Qu’ai-je besoin de bords
Centre partout !
Ecarquillé !
VII
Ni plaisir ni douleur
Cent mille fleurs, cent mille épines
Un seul regard.
VIII
Neige en été
Tes larmes glissent sur ta joue
Mais rien n’arrête la rivière
Saisons des pluies
Soleil d’hiver.
IX
Méduse aux yeux d’opale
Serpents ébouriffés
Qui peut voir sans trembler
La mort dans tous les corps ?
Mais la joie, comme une aiguille d’or
Fait sa ronde, sa roucoulante
Sur le morne écrin du temps.
X
Le chaos des pensées
Un petit air de printemps ce matin
Ah paresser au fil de l’eau !
XI
Le présent ne manque jamais
Le temps, mousse mouvante
Ecume sobre
Surface inentamable !
XII
Au bord de la rivière d’est
Je regarde l’eau passer
Toujours la même en mille jours
Toujours la même en un seul jour
Les jours qui passent sans passer
Les eaux qui coulent sans couler
Je vois le vide en toute chose
Le même en ses métamorphoses.
XIII
Suis-je, ne suis-je pas ?
Les feuilles caracolent
Le cœur des arbres est plein de vent
XIV
Instant, soleil coupant
Feuille, flèche fugace
Désirs vibrants,
Tout passe, rien ne passe
XV
Instant né-mort, instant mort-né
Regard d’enfant qui ne cille pas
Voit-il ? Ne voit-il pas ?
- Dans la rétine le Tout venant !
XVI
Les corbeaux se chamaillent et criaillent
Le temps a déposé son manteau
Le présent n’aura pas de fin.
XVII
Réduis distance, accepte
L’indépassable lieu
L’entre-deux
L’éparse, la glissade
Trop pesante la terre
Trop loin les pics altiers
Toi
Marche impair
- Et passe !
XVIII
Les choses nous offusquent
Les pensées nous disloquent
Retourne au centre pur, ô mon âme
Laisse glisser le temps
Laisse tout ce qui pèse
Celui qui te déchire,
L’éclair,
Lui seul te combera !
XIX
La langue est une mégapole
Omnivore, sarcophage et putain
Linceul mité d’étoiles
J’y marcherai au-delà de ma mort !
XX
Italiennes, italiennes
Anses de corail
Arcs-en-ciel, jetées bleues sur la mer
Et vous, par dessus toute chose mortelle, ô voix
Cascades roulantes roucoulantes
Ah j’ai tant, tant de plaisir
A goûter, à humer, à taster
A voir, de tous mes yeux voir
Vos voix qui montent de vous, vous traversent
Se déversent
Vêpres de nostalgie béatifique
Voix lentes, voix montantes, hiératiques, sublimes
Coupoles d’or d’un céleste Gloria !
XXI
O voix, voix de ne sais d’où
Charnellement vivante, caressante
Voix sans visage
Voix toute en moi, autour de moi
Animal tendre au pelage de soie
Tu dissous toutes les formes,
Tu me déchires, et les tripes, et la peau !
Dans l’effroi, ne reste que la faille !
XXII
Dans l’entre-deux
Ni ciel, ni enfer, seul,
Poétiquement ouvert
Dans ce corps qui crie, qui parle, qui chante
J’habite en ermite solaire !
Toute mémoire gommée
Tout vouloir effacé
Le matin s'ouvre sans mesure,
Ah qu'il est doux de vivre en poète
Dans la splendeur originaire