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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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8 mai 2019

COMME UN IDIOT DANS LE COURANT DES CHOSES : HOUANG PO et PYRRHON

 

 

« Quand on sait avec certitude que rien n’a, au fond, d’existence, qu’on ne peut rien trouver et qu’on n’a alors rien sur quoi s’appuyer, se fixer, qu’il n’y a pas de sujet ni d’objet, plus aucune pensée erronée ne s’agite… »

Et encore :

« …sans vous appuyer sur rien, sans vous fixer nulle part, en restant tout le jour comme un idiot qui se laisse porter par le courant des choses. »

Ces deux citations proviennent des Entretiens de Houang Po. J’aime à penser que si Pyrrhon avait écrit, il eût pu les écrire. La conjonction des deux esprits est remarquable.

D’abord l’affirmation de la vacuité : « rien n’a au fond d’existence » ne signifie pas qu’il n’y a rien (thèse nihiliste) mais que rien ne possède de réalité substantielle. Ni Etre ni Non-Etre. La fin du second paragraphe énonce l’idée de la mutation et transformation perpétuelles : « le courant des choses ». Héraclite – dont se réclament les pyrrhoniens – tout comme Bouddha, expriment en termes comparables l’intuition de la mobilité universelle qui ruine toute idée de permanence et de substance.

Il s’ensuit qu’on ne peut trouver aucun point fixe, ni dans le monde ni dans le moi. Les quatre éléments (terre, eau, air et feu), les agrégats qui composent le moi (corps, sensations, perceptions, constructions mentales, conscience) tout est fluant, emporté dans le « courant des choses ». Pyrrhon dirait : il n’existe que des apparences selon le temps. C’est en vain que l’on cherchera une identité stable sur laquelle bâtir une science certaine. Et c’est en vain que l’on cherchera quelque principe universel, ou quelque valeur indiscutable pour fonder la conduite.

Bodhidharma : « Tout est vide, rien n’est sacré ».

Suit la négation – qui choquera plus d’un – du sujet et de l’objet, en conséquence, du principe si généralement admis qui fonde toute connaissance. Le sujet est une « notation commode », opératoire dans le champ de l’existence ordinaire, mais sans fondement dans l’ordre du réel. Et de même, l’objet est construit par un « savoir » conceptuel ou pratique, alors qu’il n’y a pas d’objet dans le réel.

Pyrrhon de même refuse toute réalité à l’ «objet » qui n’est pas un étant (eonta) mais un quelque chose qui apparaît, et qui n’est pas plus ceci que cela – sans identité.

On s’étonnera sans doute de l’étrange bout de phrase où Houang Po déclare que le sage sera « comme un idiot qui se laisse porter par le courant des choses ». Hé, souvenons-nous que l’idiot c’est originellement celui qui s’est écarté des normes communes et qui vit selon une autre loi, toute intérieure, sans se soucier des idées et valeurs communes. L’idiot n’a rien à prouver, rien à faire, il est libre.

Je doute que l’on soit jamais allé plus loin dans la contestation sans reste des conceptions traditionnelles. Mais il serait erroné d’y voir quelque anarchisme échevelé. Car enfin il n’y a qu’un monde et c’est dans ce monde que l’on vit, quoi qu’on en ait. Toute la difficulté sera d’être mêlé à l’ordinaire marche du monde, travail, économie, politique, d’y agir en respectant les normes selon la distinction du sujet de l’objet, tout en sachant par devers soi que tout cela n’a guère de réalité si ce n’est d’opinion et de convention,  en somme d’y être sans cesser de n’y être pas.

Mais c’est là encore trop dire. Viendra peut-être un moment où cette opposition elle-même cessera, où du même regard se percevra la « forme » et le « vide » puisqu’en somme tout se réduit aux apparences.

 

 

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Commentaires
X
Il y a 5 états du Soi : état de mort, état de veille, état de rêve, état de sommeil profond sans rêves et état de connaissance absolue ou état divin.
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G
En effet, et dans le même ordre d'idées : il serait facile d'organiser des échanges entre universités françaises et chinoises ou hindoues, pour promouvoir l'études des grandes traditions orientales. J'ai eu la chance d'avoir à Nancy un professeur qui lisait le sanskrit et connaissait bien les grands systèmes de l'Inde - encore que moi-même j'aie plutôt dévié vers des conceptions hétérodoxes. Une sensibilisation aux autres continents de la pensée serait la bien venue à l'Université,
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S
Cher Guy, <br /> <br /> <br /> <br /> Les jeunes coréennes en savent plus sur l'existence que bien des sages.
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S
Je vous suis entièrement. C'est d'ailleurs en pensant à Héraclite, que Montaigne, à propos de notre propre condition, parlait de "nihilité". Il avait aussi cette autre image de la vie comme "éloise" ou brève étincelle dans l'infini chaotique. "Pourquoy prenons nous tiltre d’estre, de cet instant qui n’est qu’une eloise dans le cours infini d’une nuict eternelle, et une interruption si briefve de nostre perpetuelle et naturelle condition ? la mort occupant tout le devant et tout le derriere de ce moment, et encore une bonne partie de ce moment." Quant à la phrase de Fitzgerald, l'incipit de LA FÊLURE, son propos est imparable. Si je tentais un rapprochement entre l'écrivain américain et Montaigne, je dirais que ce dernier, dans les ESSAIS, tint la chronique de son propre processus de démolition.
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G
La décomposition est à l'oeuvre en tout phénomène, la vie étant, comme dit Fitzgerald, "un processus de démolition", mais à l'autre bout il faut bien que quelque chose apparaisse pour que la démolition puisse s'exercer. On en vient tout naturellement à penser le flux d'apparition et de disparition éternel. Les uns ne voient que l'apparition et refusent l'autre terme, les autres ne voient que la disparition. Il me semble opportun de considérer le mouvement dans toute son amplitude. C'est la grandeur d'Héraclite : l'unité polémique des contraires.
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