Ce NON-RAPPORT qui LIBERE
Il ne faut rien attendre des dieux - à supposer qu'ils existent ils n'ont aucun rapport avec nous : "Il est sot de demander aux dieux ce qu'on peut se procurer par soi-même". Il ne faut rien attendre des hommes, partout règne la dissention, sauf si, de ci de là, un contrat librement passé vient réduire la violence. Politique négative : ne pas en rajouter à la violence générale, ne pas s'engager sottement dans des polémiques interminables, pratiquer le retrait philosophique : ek-chorèsis, hors du choeur des agités, des frénétiques, de ceux qui se mêlent de réformer l'humanité, militants du Bien universel.
Distendre les liens, voilà le mot juste. D'avec les dieux, d'avec les mythes et les représentations de la mort, d'avec la morale, d'avec l'usage ordinaire de la politique : affirmer le non-rapport, sans entrer pour autant dans la polémique et la négation. On ne se bat point, comme fait le Kunique, on se retire, on distend les rapports autant qu'il est possible. On se tient à la limite, sachant qu'on ne peut passer la limite, basculer dans la sauvagerie en vivant parmi les bêtes. Le philosophe n'est pas un Bacchant ivre qui hante les forêts.
Un petit jardin, à la lisière de la ville, avec des oliviers, des pommiers et des roses, et surtout, des amis, et des amies, échappés à la conflictualté générale, amants de la sagesse.
On s'efforcera de créer les conditions d'une contre-culture, mieux, d'une culture autre, avec d'autres principes et d'autres rapports. D'abord le rapport à soi-même : non plus cette déchirure que pratique la morale qui sépare l'homme de sa propre nature en lui imposant des valeurs imaginaires, des vertus imaginaires, des peurs imaginaires. Puis le rapport au proche, rapport d'amitié et non plus de conflictualité. Rapport des hommes et des femmes dans cette république bien réelle du Jardin, îlot de calme félicité au milieu de la tourmente du monde. Rapports choisis, librement contractés, dissolubles à volonté.
Bien sûr c'est un modèle. Nous ne pouvons savoir si dans les faits ce modèle a été ou non réalisé. Les témoignages que nous possédons font croire que les choses se sont bien passées ainsi. Mais rien ne prouve qu'elles aient pu durer. A chaque époque les condtions pratiques sont différentes et imposent des remaniements. Mais l'idée dure et rien n'interdit de penser que dans des périodes favorables elle puisse à nouveau se réaliser.
Quoi qu'il en soit, s'il est impossible de créer une communauté épicurienne, les idées et les préceptes demeurent et peuvent inspirer, à l'individu, de belles maximes pour la conduite de sa vie.