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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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3 septembre 2018

ADELON : critique de l'invisible

 

Dêlos : Ile qui vit naître Apollon et Artémis.

dêlos : visible, apparent, clair, évident, manifeste.

adêlos : invisible, obscur, incompréhensible.

 

"Le pyrrhonien, déclare Sextus Empiricus dans ses "Esquisses pyrhoniennes" (livre I, 7), ne donne son assentiment à aucune des choses obscures (adêlon)". Ces "choses obscures" désignent ce qui échappe à notre capacité de compréhension, toujours relative à notre état, à notre position, aux apparences, comme par exemple de saisir la nature intime d'un phénomène. Je ne sais pas ce qu'est la nature du miel, j'expérimente seulement qu'il m'apparaît doux. Cette apparaître est de l'ordre d'un dêlon, d'un visible et manifeste, mais la nature du miel relève de l'adêlon. Je suspendrai donc mon jugement, évitant de dogmatiser sur des sujets pour lesquels je n'ai aucune aptitude à juger. 

Le pyrrhonien ne parlera que de ce lui apparaît : sensations et affects. Au delà commence la sphère du spéculatif, dans lequel les opinions s'affrontent à l'infini, et où aucune certitude ne peut être établie. La critique pyrrhonienne visera à opposer toutes ces opinions les unes aux autres pour faire apparaître leur caducité : les dogmatiques s'imaginent saisir la vérité, ils ne font que phraser. Ainsi l'on parviendra à un "arrêt de la pensée", auquel suivra l'ataraxie (la fin des troubles) comme l'ombre suit un corps.

Ce qui peut nous solliciter encore dans cette pensée sceptique c'est la critique du discours, ou plutôt d'une illusion constitutive du discours : parlant, on finit par croire que ce dont on parle possède une existence effective, comme si par magie le discours pouvait faire surgir la réalité. Ecoutons encore Sextus : "celui qui dogmatise pose comme existante la chose à propos de laquelle il dogmatise, lors que le pyrrhonien pose de telles expressions comme n'étant pas absolument existantes". Tel philosophe, Platon par exemple, parle de l'Idée du Beau ou du Bien, la définit comme éternelle et agissante, et, à sa suite, de beaux esprits iront à la quêtre de l'Idée, désespérant de la contempler. Tel autre dira que le monde est dominé par l'opposition du Bien et du Mal, un troisième que le Bien ne se peut contempler que dans l'autre monde, et ainsi de suite. Autant de têtes autant d'avis, dira Spinoza. Le pyrrhonien ne se mettra pas en frais pour déboulonner telle ou telle opinion, il se contentera de procéder par opposition éliminative : vous dites que le Bien mène le monde ? Voici des arguments qui vont dynamiter votre position. Vous dites que le Mal mène le monde ? Voici des arguments adverses qui vont dynamiter votre position. A la fin il ne restera aucune position tenable, aucun point d'appui. Mais alors, dira-t-on, ne resterait-il pas le pyrrhonisme comme dogme, qui, triomphant de tous les autres, serait une nouvelle idéologie ? Réponse : le pyrrhonisme ne se pose pas comme un dogme, il est une méthode curative et purgative, et comme les dépuratifs il s'élimine lui-même en emportant les déchets.

Le drame de l'humanité, selon Pyrrhon, c'est de ne pouvoir s'empêcher de dogmatiser, frénésie d'une pensée déréglée, fascinée par l'adêlon, le mystérieux, l'obscur, l'inaccessible. D'où une dérive du langage qui se met à faire illusoirement consister des choses qui ne sont pas, comme l'âme, les dieux, l'immortalité, langage détourné de sa fonction, saisi de folie hyperbolique. En fait les "choses" sont beaucoup plus simples : il faut revenir à la sensation, écouter le langage des affects, se fier à la vérité des apparences. "Je ne sais pas si le miel est doux, mais je l'expérimente comme doux". Voilà au moins un propos qui n'est pas contestable, car quel que soit le savoir ou le non savoir prononcé au sujet du miel, de sa provenance, de sa nature, de sa composition, il n'en reste pas moins que le miel je le vis, je l'expérimente comme doux.

La sensation, au bout du compte, est plus vraie que le langage. Et si parfois la sensation est douloureuse, on ne le niera pas, mais on évitera d'y rajouter la pensée de la douleur, le discours de la douleur, qui redoublent la douleur. Et s'il est impossible de ne pas penser, on tâchera du moins d'en modérer l'excès, avec pour fin souhaitée l'apaisement des tensions.

 

 

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Commentaires
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le pyrrhonisme ressemble au zen, il ne s'agit plus de penser, de juger, de commenter, d'anlyser, de comparer...mais de simplement respirer.
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