LE CHANT DES ORIGINES : Chant Premier (2)
CHANT PREMIER
2
Au début n'était pas le Verbe, ce bavard intempestif
Ni l'action, n'en déplaise au poète,
Car il n'y eut jamais de début dans la nature
Qui de toujours et pour toujours jette les dix mille êtres
Au risque de naître, de vivre et de périr,
Sans se lasser jamais de faire et de défaire,
Sans intention, si ce n'est de produire
Et de détruire cela qu'elle a jeté dans l'existence.
Immense et insondable elle est
Ce qui fut, ce qui est et sera, de toute éternité.
Elle remplit l'esprit de terreur infinie
Elle qui détruit tout, et de joie infinie
Au spectacle de sa puissance inconcevable.
S'il est un dieu, si vraiment tu veux garder ce terme
Impropre, c'est lui, le génie inconscient de soi, qui crée
Sans intention, sans but, sans cause et sans regret
Tout ce qui est dans le monde, tout ce qui vit
Jusqu'à la moelle interne du vouloir. Il est en moi
Il est en tout. Seul il existe, infiniment réel.
S'il n'est point de début ni de fin
Il est une origine, à chaque instant
Lorsque paraît chose nouvelle ou nouvelle pensée,
Qui jaillit du chaos, de l'informe, du pas encore déterminé,
De ce bouillon amorphe d'où procède
La Forme.
A l'origine était Chaos, disait Hésiode
Et c'est de lui que naît la Nuit féconde et bien plus tard
Le Jour. Alors la lumière divine se répand sur le monde
Et naissent les principes éternels de la Forme-matière
Dont la combinaison, la fusion, le mélange
Agités dans l'espace infini, brouillés et torsadés
Par les véloces tourbillons en tous sens
Entrelacés, entrechoqués de toute éternité
Produisent ces mélanges instables, enfants d'un jour,
Que nous appelont corps, improprement,
Car un corps, s'il apparaît parfois stable au regard
N'est rien qu'un processus de processus
Temporellement liés par une force d'attraction.
Les corps passent et se remplacent, seul demeure
L'immense force qui les brasse à l'infini dans le vide.
Ainsi, à chaque instant
L'origine se laisse entrevoir
Si tel un serpent dissulé dans les herbes
Guettant la proie
Tu te tiens à l'origine, toi-même,
Toutes affaires cessantes pour n'être que regard.
Et c'est ainsi qu'à tout instant
Coïncidant avec l'éternelle naissance
Toi-même tu te tiens à l'origine des choses.
Tel est l'action spécifique du sage
Qui ne fait rien, pour qui
Toutes choses se font à tout instant dans le silence.
Attentif, silencieux, léger comme un roseau
La brise et le courant des eaux qui passent
Tu les laisses passer par ton corps sensitif
Sans rien penser, sans rien vouloir ni désirer,
La lumière joue folâtre à l'orée du paraître
Rien ne compte plus désormais
Que cette effloraison des choses dans ton âme
La musique éternelle de l'eau et du roseau.