Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
Archives
Visiteurs
Depuis la création 1 056 539
16 février 2017

CYCLOTHYMIE : journal du 15 février 2017

 

La langue allemande dispose d'un mot évocateur, riche de promesses, pour qualifier les prémices du printemps, quelque chose comme "avant-printemps" (Vorfrühling). C'est la délicieuse sensation que nous offrent ces jours présents, après tant de rigueur hivernale. Comment ne pas sentir en soi-même la vie qui recommence, le désir qui se réveille, une sorte de confiance quasi enfantine en la possibilité de vivre, de goûter encore à la fontaine de jouvence ? Il est vrai que ces dernières semaines furent très éprouvantes, pour moi qui me sentais comme engagé, à la manière des condamnés, dans le couloir de la mort. Cette impression funèbre m'est hélas assez familière, car à intervalles plus ou moins réguliers je plonge dans un marasme d'où, je le redoute à chaque fois, je ne pourrai m'échapper. Et pourtant je reviens, je me hisse cahin caha hors de l'abîme, et découvre  à chaque fois, avec étonnement, que la vie continue, que ce n'était qu'un mauvais rêve, et qu'il est grand temps de se réveiller. J'ai lu quelque part que Goethe, aux approches de l'hiver, donnait touts les signes d'une fin imminente, et qu'aux premiers jours du printemps il renaissait comme un coquelicot. Mon grand père, de même, se donnait pour mourant à chaque hiver, accumulait tous les symptômes de la maladie finale, et revenait aux beaux jours. Bien sûr cette comédie de la mort et de la renaissance finit par finir, et comme on dit, ou peut guérir de toutes les maladies, sauf de la dernière.

Cette disposition cyclothymique, je la traîne depuis l'enfance, et je m'étonne que nul ne s'en soit aperçu parmi mes proches. Mais l'eût-on vue que cela n'aurait rien changé. Elle est si ancienne, si profondément ancrée dans mon organisme physique et psychique, si connaturelle en somme, que j'ai depuis longtemps renoncé à la corriger : il faut faire avec, accepter les chutes dans la mornitude, me réjouir de mes remontées spectaculaires, tout en veillant à ne pas sombrer trop profond, ni à m'exalter plus que de raison. Il faut sauvegarder un régime moyen, entre les extrêmes, sans pour autant vouloir une constance parfaite, qui d'ailleurs n'existe que dans les livres.

C'est déjà beaucoup si une trop forte remontée de l'humeur ne se paie pas par une descente vertigineuse et catastrophique. Mais je constate aussi que, en ces affaires, ni la raison, ni la volonté ne peuvent quoi que ce soit : toutes nos résolutions philosophiques sont ravageusement balayées, humiliées par une puissance intérieure hors de contrôle. Le thymos est souverain, pas la raison. Notre seul pouvoir est de faire le gros dos, de considérer l'orage, de la voir venir, se développer et passer, constater avec soulagement qu'il finit toujours par passer, et qu'en somme la vraie vertu philosophique c'est la patience, c'est à dire l'art de supporter (patior, supporter, d'où "patient" et patience). Ce n'est pas rien, même si ce n'est pas grand chose, c'est une vertu indirecte si l'on veut, de biais, qui consiste à biaiser, plutôt qu'à affronter, vu le rapport des forces.

Tout cela nous enseigne la modestie : pas de triomphalisme moral, pas d'ambition de vertu, juste un art délicat de survie par gros temps, et à y regarder de plus près, c'est le gros temps qui est la règle, et les beaux jours l'exception. Raison de plus pour goûter doublement l'accalmie des beaux jours.

Publicité
Publicité
Commentaires
G
Que voilà un commentaire réjouissant, chère Sibylle, qui étale de belles perspectives de joie sur mon assiette !
Répondre
S
Cher Guy,<br /> <br /> <br /> <br /> Touchant article. Pour ma part, et en toute modestie, il y a longtemps que j’avais perçu ces aléas d’humeurs qui te hantent. Il semblerait que cela soit un fond installé depuis ta petite enfance. Pour autant, tes yeux pétillent à la lecture des fragments d’Héraclite, à la dégustation d’un bon Somantano, ou d’une bonne assiette de frites (mais un peu plus de cinq dans l’assiette) et les trois ou les quatre mousquetaires alors, sans parler du plaisir non dissimulé d’habiter à Ascaso dans une future vie peut-être ? Hum, que de réjouissances.<br /> <br /> <br /> <br /> Il me semble que le Béarn adoucit, réchauffe aussi ce tempérament, et cette joie qui, longtemps est restée enfouie, comme si elle n’avait pas eu le droit de s’exprimer, freinée par des relents de mélancolie. <br /> <br /> Ton talent d’écrivain qui joue savamment avec les mots et les déroulent magnifiquement sur les ondes n’est-il pas une raison de te dire que chacune de tes journées est l’occasion extraordinaire de déployer ton propre soleil, d’hiver ou d’été qu’importe , mais le tient assurément.<br /> <br /> <br /> <br /> Bien amicalement, <br /> <br /> Sibylle.
Répondre
Y
J'ai toujours pensé que, sauf accident de la vie, je mourrais à l'automne. Fait étrange, alors que pour beaucoup de mes proches l'hiver est une rude épreuve, j'éprouve quand à moi une renaissance dés que le froid vif me prend. J'adore l'hiver et la neige qui va avec. Pourquoi ? C'est assez étrange, pour moi le froid n'est pas synonyme de mort, j'entretiens une sorte de relation d'amour avec la neige et je vais chaque année la chercher sur les sommets pyrénéens et alpins, une semaine en pleine montagne, ascension en peaux de phoque synthétiques, soirées en refuge ... <br /> <br /> <br /> <br /> Votre article me donne une piste pour penser ces hors pistes et ces plaisirs à chaque fois renouvelés ; en fait c'est probablement ce "Vorfrühling" auquel je suis sensible, l'hiver est fait de ce "Vorfrühling" si je me fis à mes sensations et éprouvés. Pour moi il ne s'agit pas de l'espoir de la venue du printemps, non, c'est quelque chose que je trouve au plein cœur de l'hiver que m'a transmis ma mère, et l'on connaît la puissance du désir maternel ! C'est aussi la saison où les journées rallongent et où le soleil éclaire.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Et puis me viennent encore et toujours ces paroles de Barbara :<br /> <br /> <br /> <br /> "(...) Quand mal, trop mal, tu voudrais larguer<br /> <br /> Larguer, tout larguer<br /> <br /> Quand la folie des hommes nous mène à l'horreur<br /> <br /> Nous mène au dégoût<br /> <br /> <br /> <br /> N'oublies pas, l'aube revient quand même<br /> <br /> Même pâle, le jour se lève encore<br /> <br /> Etonné, on reprend le corps à corps<br /> <br /> Allons-y puisque le jour se lève encore<br /> <br /> Le jour se lève encore (...)"<br /> <br /> <br /> <br /> Et à chaque fin d'été, je me dis "vivement cet hiver que je renaisse"
Répondre
Newsletter
153 abonnés
Publicité
Derniers commentaires
Publicité