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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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11 juillet 2016

PROPEDEUTIQUE du DEHORS : une anti-analyse

 

Le Dehors, il faut bien se garder de le spatialiser, pire encore, de le réifier. Ceux qui vont au loin affronter les glaciers et les ours peuvent bien sonder mer et terre, savent-ils bien ce qu'ils cherchent ? Que peuvent bien nous enseigner les glaciers de la banquise si nous ne savons écouter le craquement de nos glaciers intérieurs ? Ce problème tient à la nature de l'imaginaire qui ne peut faire autrement que de spatialiser, comme on fait en peinture, pour représenter, avec forme et fond, scène et personnages, les états et les mouvements de l'âme. Mais cela est trompeur : l'image nous leurre, comme le redisent à l'abondance tous les philosophes, non qu'elle soit mauvaise en soi, mais parce qu'elle ajoute de la représentation à la représentation, redoublant la difficulté. Mais elle peut indiquer aussi, elle peut suggérer quelque vérité, comme les rêves, à la condition expresse de les interroger. Lorsqu'on dit que la vraie vie, la vie libre est de l'autre côté du fleuve, qu'il faut traverser et déposer le radeau, le laisser derrière soi, tout laisser derrière soi, c'est évidemment une image, séduisante et alléchante, mais où est le fleuve, où le radeau, où l'autre rive, lorsque l'on sait pertinemment que le monde est un, qu'il n'y en a pas d'autre, et que c'est bien dans celui-ci qu'il faut vivre. La raison a vite fait de ruiner la beauté de l'image, ce qui serait une autre erreur, faute d'entendre ce que l'image peut porter de neuf et de libérateur dans son ambiguité même : elle suggère un Dehors, elle le rend désirable, et c'est dans la naïveté même de ce désir qu'il faut déceler quelque chose de l'ordre de la vérité. L'image est comme une écorce qu'il faut ouvrir, dépiauter, morceler, pour en extraire le suc de l'idée : déchiffrement et interprétation.

Toute la question, depuis des lustres, est : comment accède-t-on au Dehors ? Il faut bien voir qu'il n'existe pas de recettes, tout au plus des conseils utiles, et de pieux mensonges, contre lesquels les sages les plus subtils mettent soigneusement en garde leurs disciples. "Vous croyez atteindre le nirvâna par la vie morale, l'acquisition de mérites, la discipline et la méditation ? Naïveté ! Vous ne faites qu'ajouter des chaînes à vos chaînes. Vous pourrez méditer pendant des milliers de kalpa, avec cette méthode vous n'avancerez pas d'un pouce !" Et ailleurs : "Ce que vous prenez pour le nirvâna n'est au plus qu'un séjour dans l'illusion des îles bienheureuses". Ha, voilà qui est raide ! Et vrai cependant, car sitôt qu'on prétend donner une définition, décrire un état, des conditions d'accès, tenir un registre, on retombe instantanément dans le piège de l'imaginaire.

A dire vrai il n'existe ni recette ni méthode. En tout cas que l'on puisse enseigner, transmettre. Tout au plus peut-on faire signe. A chacun, s'il le désire, d'expérimenter par lui-même. Méthode de la non-méthode. Ce paradoxe est insurmontable, il faut s'y affronter courageusement, le laisser longtemps agir en soi comme une torpille, une énigme, un skandalon intime qui vous cloue et vous vrille jusqu'au jour où le ciel se dégage.

Et encore... Le ciel peut-il, par faveur expresse, se dégager une fois pour toutes, être à jamais lisse, égal et transparent ? Qui n'a eu la chance, une fois dans sa vie, d'être au plus près de cet état de complète Intelligence, de se dire : voilà, c'est cela, rien n'est plus vrai que cela, puissè-je conserver toute ma vie cette certitude heureuse, cette illumination, et de se voir, comme au réveil d'un beau songe, replongé le lendemain dans les affres de sa névrose ordinaire ? Cela ne se commande pas, ne se régle pas, ne se possède pas. Et pourtant cela existe. 

Cela existe parce que cela s'expérimente. Mais ce premier événement, vite et généralement oublié, continue d'agir comme un appel, exige quelque part en nous son retour, son prolongement, sa perpétuation. C'est à cette vérité intime que nous pouvons nous sentir appelés, la chose la plus précieuse et la plus vraie, l'intime certitude que c'est elle que nous devons vivre.

Tout ce qu'on peut en dire, si vraiment il faut en dire quelque chose, c'est qu'à toute proposition, toute théorisation, il faut opposer un vigoureux : "que nenni, ce n'est pas cela". Hors de toute image, de tout concept, de toute idée et parole. Pourquoi ? Parce qu'il faut sortir d'un coup du langage, de la culture, de la classification. Est-ce possible? Et pourquoi non, s'il est bien évident que le langage est une acquisition tardive, qui nous plia de force à l'orde conventionnel commun, mais que l'être qui fut, oublié et nié, n'a jamais cessé d'exister dans le tréfonds de notre conscience, et qu'il attend l'heure favorable de sa seconde naissance. Il serait trop dommage qu'il ne se révèle enfin qu'à l'heure de la mort, "tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change".

 

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Commentaires
G
Ces réserves sont tout à fait fondées, marquées du sceau du bon sens, et je les partage entièrement. Mais je n' ai rien dit, je crois, qui prête le flanc à ces critiques, sauf si je me suis mal exprimé, ce qui arrive, évidemment. Il est bon d'avoir des lecteurs attentifs et exigeants, quitte à supporter deci delà quelque pointe d'agressivité !
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