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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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7 octobre 2016

PHILOSOPHIE et LITTERATURE face au REEL

 

 

Frappé de stérilité, je me réfugie dans les lectures historiques, comme je fais d'habitude en ces cas-là. Ce n'est pas désagréable, tant s'en faut, mais peu satisfaisant, au total. Dans la lecture, quoi qu'on en dise, il y a une dimension passive qui finit par m'agacer, ce qui fait que je n'apprécie que les oeuvres courtes, qui vous saisissent d'un coup, et vous laissent pantelants au bord du chemin. C'est particulièrement vrai des oeuvres philosophiques, car une idée forte et vraie peut s'exprimer en peu de mots : le reste est verbiage, tapissage et faux-semblant. J'aime les aphorismes directs et crus, qui poiçonnent la matière, et vous harponnent l'entendement, sans égard pour votre délicatesse, et encore moins pour vos préjugés. Peu de livres ont cette qualité sauvage, cette irrévérence. On lambine, on ménage le chèvre et le chou, on ratiocine, on joue la montre, et à la fin c'est le lecteur qui se venge en jetant le livre au feu. Il fait bien. Il devrait même le faire plus souvent.

Je ne sais rien de pire que les circonvolutions interminables de Platon dans certains de ses dialogues, réputés fameux, "pleins d'usage et raison", et qui ne font que me tordre la cervelle. Et je ne dis rien de la "Phénoménologie de l'esprit", pénible ergotage du soi, de l'en-soi, et du pour-soi : tout ça pour ça !

Schopenhauer est volontiers excellent quand il donne directement ses intuitions ; quand il cherche à prouver il me fatigue. Les preuves, s'il en faut, je préfère les trouver par moi-même : je ne suis pas plus sot qu'un autre, et je jouis, dieu merci, d'une cervelle capable d'observation désintéressée, et de jugement. Aussi n'est-il vraiment démonstratif que lorsqu'il renonce à démontrer : observant mes plantes sur mon blacon, considérant la lutte âpre qu'elles se livrent pour la possession du terrain, je puis me faire une idée très juste du vouloir-vivre. Sans parler de la concurrence effrénée des hommes pour un semblant de pouvoir qui se dérobe aussi vite qu'il est saisi : rien de nouveau sous le soleil !

Toute cette affaire de preuve et de démonstration tient à un préjugé fort ordinaire des philosophes : ils croient que la philosophie est un savoir, voire un "Savoir Absolu", c'est à dire une science parfaite et complète, quand, dans ce domaine de l'observation des conduites humaines, de l'origine et de la fin, de la vérité et l'erreur, aucune science n'est possible, tout au plus des remarques sensées et partielles, qui ne font pas une science. En toute rigueur on ne peut ni affirmer, ni nier, ni démontrer, on ne peut, on ne doit que conjecturer. Aucun achèvement n'est possible, ce que montre clairement la littérature, qui ne tombe pas dans ce marécage, livrant à l'infini de nouvelles observations, sans que jamais ne s'épuise le champ de la diversité humaine. Cela n'enlève rien à l'intérêt de la philosophie, à la condition expresse qu'elle sache interroger son domaine propre, qui est celui de la vérité. Or la vérité n'est pas de l'ordre du savoir : il y a vérité dans la proximité du réel, dont l'effet se mesure dans la disqualification de toutes nos représentations - donc du savoir accumulé. C'est ainsi, par exemple, que l'oeuvre de Schopenhauer, dans le vif incomparable de son tranchant, avait disqualifié les idées idéalistes qui inspiraient ses prédécesseurs, inaugurant une nouvelle ère de la pensée : vouloir-vivre, inconscient, primat de l'instinct sur la connaissance rationnelle, réinterprétation du rêve et de la folie etc. Schopenhauer était au plus près du réel, mais il va de soi que toute l'action suivante sera de récupérer ces intuitions, d'en faire un savoir renouvelé - ce qui obligera mécaniquement les nouveaux terrassiers philosophes à trouver d'autres approches, sous peine de perdre ce que cette philosophie-là avait apporté de vraiment révolutionnaire. Ce travail est infini, comme est infini le travail du romancier et du cinéaste. Si le réel est infiniment créateur et novateur, nos créations culturelles se doivent de l'être également, sans prétendre pour autant égaler la prodigieuse fertilité et créativité de la nature.

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Commentaires
G
Excellent commentaire : histoire, philosophie et arts, même leçon selon laquelle il n'y a pas de leçon, hormis l'écume acide de la mer...
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D
La première phrase de ce texte n'est en rien étrangère à tout ce qui suit. Sans doute en est-elle la fertile condition. En se plongeant dans les romans historiques, comment ne pas se heurter à l'insignifiance, à la caducité, à l'effrayante et morne répétition des conduites humaines ?<br /> <br /> Lorsque l'Histoire est dépoussiérée de son arrière-plan métaphysique, lorsqu'on cesse d'en faire une religion de la mémoire ou du développement supposé de l'Esprit alors apparaît toute la radicalité du jeu contradictoire et violent des passions.<br /> <br /> Il devient alors intéressant d'y voir la force irraisonnée du Vouloir comme Machiavel le fit en son temps à sa façon et plus tard le vieil Arthur.<br /> <br /> En ce sens, l'histoire est aussi la grande révélatrice de la confrontation de l'homme au Réel et de la résistance qu'il manifeste à penser sa condition animale et instinctive.<br /> <br /> Au fond, littérature, histoire et philosophie nous racontent des histoires, chacune à leur manière. Pouvons-nous renoncer aux rêves de l'enfance et aux grands récits pour effacer le tragique de la vie ?<br /> <br /> Rien n'est moins sûr.
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