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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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25 mai 2016

REVERIE ANTESEXUELLE (2)

 

De plus en plus je me découvre hostile, irréconcilié à l'égard des positions fondamentales de la psychanalyse freudo-lacanienne. C'est une méthode, rien de plus. Mais l'impétrant est toujours tenté d'ériger en dogmes certaines idées qui ne sont que des hypothèses, remplaçant ses anciennes croyances par de nouvelles, ce qui ne change pas grand chose à la structure de fond. De la sorte naît un nouveau dogmatisme, dont il importe de se libérer au plus vite. La liberté véritable ne se donne qu'à celui qui rompt avec toutes les positions dogmatiques, considérant les théories, auxquelles il a adhéré, comme des échelons qu'il lui fallut gravir, nécessaires un temps, puis abandonnées, pour parvenir au sommet.

On décline habituellement la série des objets pulsionnels comme suit : le sein, les fèces, l'enfant, le pénis, le regard, la voix. L'objet est un morceau détachable du corps, objet partiel auquel s'attache la pulsion, et qu'il fait jouer dans l'érotisme et dans les fantasmes. Fantasmer c'est isoler un objet dans la représentation et le faire jouer de toutes les manières pour en tirer du plaisir. Pour le vérifier il suffit de se laisser aller à ces rêveries où se complaît tout un chacun dans ses moments intimes de délassement, observant les glissements des robes, l'efforescence d'un sein dans les plis soyeux d'une colerette, la jambe, comme un petit animal sauvage jailli d'un fourré, etc. A chacun son petit jeu voyeuriste ou exhibitionniste, prélude bien connu à toutes les avenues du désir. Tout cela marche assez bien pour comprendre les déplacements, métaphores, concaténations signifiantes, comme on dit, à savoir les processus primaires de l'inconscient. L'analyse débute tambour battant. Puis vient un moment où tout se fige. La machinerie tourne à vide. Rien ne se passe. Cette joyeuse sarabande des objets et de leur déplacement métonymique, ce pétillant furet de la danse ne produit que de la répétition sous le masque freluquet de la variété. Même le fantasme, dont on attendait quelque révélation secrète et fondamentale, ne fait que ressasser la même antienne. Que faut-il penser ? "Analyse interminable" constatait, amer, le père fondateur. 

Je me demande souvent s'il ne faut pas revoir la liste des objets partiels, et plus encore, en changer la définition : pourquoi soutenir que l'objet partiel est un objet détachable du corps, fruit d'uné découpe imaginaire, qui en autorise le maniement fantasmatique ? Ce qui me sidère c'est l'absence, dans cette liste, du sexe féminin, à croire qu'il n'existe en aucune manière dans la psyché. En fait le vagin appartient plutôt à la série des "objets" orificiels, trous du corps pulsionnel, comme la bouche, les narines, les yeux, les oreilles et l'anus. On peut rêver toutes sortes de rapports entre les objets détachables et les zones érogènes, comme le ein et la bouche, dessinant ce qu'Aulagnier appelait des crytogrammes, mais les combinaisons en sont variables, nullement imposées par une loi de nature. C'est là qu'intervient l'érotique, et sa riche histoire culturelle. Mais alors, quelle différence entre objet détachable et objet creux, s'il s'agit toujours encore et partout du mouvement pulsionnel, et de la recherche du plaisir? On peut, sans conteste, établir une équivalence entre eux tous, et les élever tous à la dignité d'objet, également appréciables selon le goût de chacun. En tout cas cette considération met fin à la scabreuse théorie des "stades objectaux" - dont la finalité cachée, mais plus qu'apparente, est d'établir la supériorité du pénis, abusivement élevé au statut de phallus.

On dira peut-être que tout enfant fait tardivement la découverte du sexe féminin, alors que le masculin se voit et se touche. Mais est-ce bien sûr ? Peut-être faut-il distinguer deux états de la même réalité : le sexe féminin "tardif", celui qui se découvre comme signe de la féminité, pour la fille comme pour le garçon, le vagin - et, d'autre part le sexe maternel interdit, la matrice originelle, demeure habitée, premier séjour, séjour anhistorique, irrévocablement perdu à la naissance. Il ne peut faire de doute que le souvenir inconscient de cette période continue d'habiter la psyché, façonnant certaines rêveries, inspirant certaines oeuvres, nourrissant inlassablement la source intarissable des fantasmes. Il suffit de constater, à titres de preuve, la prégnance des formes rondes, circulaires, enveloppantes dans l'architecture, les cavernes et grottes qui hébergèrent les premières cultures humaines, cryptes, ermitages, sanctuaires, lieux clos, retournés vers le dedans, abris temporels et spirituels de l'humanité traditionnelle. (Voir "Bulles" de Peter Sloterdijk).

Bien sûr, cette tendance régressive se voit fortement combattue par le social et la morale, ou exilée aux franges sous les dénominations ambigües du mysticisme. Que recherchaient donc ces ascètes, anachoreutes et autres, vivant d'eau et de racines, sous les arbres des forêts, gelant en priant au fond de leurs cavernes obscures ? On a bien du mal à comprendre, sauf si on fait, par l'esprit, retour aux plus anciennes traditions de l'humanité, que l'on cherche en soi-même l'énigmatique fondement de la vie. Consulter les vieux sages est une belle et noble tâche. Par exemple, que dit Lao-Tseu ?

   "Atteins à la suprême vacuité

   Et maintiens-toi en quiétude.

   Devant l'agitation tourbillonnantes des êtres

   Ne contemple que leur retour".

L'ancienne sagesse savait quel était la loi universelle des êtres : naître et mourir, sortir et rentrer, le berceau et la tombe. Peut-être, mais cette idée paraîtra effrayante, insoutenable, horripilante, que le vrai désir de l'homme, une fois démasqués les faux, les apparents, les tonitruants désirs de l'immédiateté, serait de "revenir au plus vite au lieu qui nous porta" - comme le dit le Silène dans Sophocle, et que tous les discours savants ne font au plus que retarder l'accès à la vérité.

Reste à savoir : une fois cette vérité découverte, que faire ? Faut-il précipiter le terme, réaliser directement ce désir de mort, fuir dans l'Hadès comme on fuit sa propre ombre menaçante ? Tous les sages du passé déconseillent de suivre cette tentation. Pourquoi se hâter ? On demande un jour à Thalès ce qu'il pense de la vie et de la mort. - "C'est la même chose" répond-il. "Mais alors, pourquoi ne quittes-tu pas la vie au plus vite ?" - "Parce que c'est la même chose".

D'une certaine manière, s'il est une sagesse, elle serait une sorte de dépouillement qui nous ferait vivre morts dans l'état vivant, je veux dire, une non-participation au tumulte du monde, un déplacement au delà des frontières, dans un no man's land agreste, peuplé d'herbes sauvages et de roses, d'oiseaux, de biches et de renards, nobles compagnons de l'anachoreute amoureux de la lune, de ses lueurs pâles à la surface des eaux. Quelques visiteurs, de ci de là, quelques coupes de vin lentement bues, des poèmes récités dans le rose du crépuscule, une vie sans lustre à l'orée de la vie, dans ce petit écart qui à peine sépare la vie de la mort.

 

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Commentaires
G
Merci pour tous ces commentaires, fournis et sérieux. Il faut bien comprendre que mon propos n'est pas de jeter la psychanalyse aux orties mais d'en relativiser l'enseignement. Comme je la connais de l'intérieur je me crois autorisé à en juger avec quelque pertinence, loin de ceux qui en parlent sans la connaître, mais loin aussi des inconditionnels. Mon projet est de voyager par delà, sans nostalgie ni idolâtrie, de gagner la liberté, celle qui est accessible à un homme ordinaire comme je suis. Bouddha disait qu'il faut se libérer de toutes les théories, y compris de la sienne, sans parler de celles qui sont fausses et nuisibles. C'est l'expérimentation personnelle qui doit nous servir de boussole, et, bien comprise, nous libérer des concepts et des dogmes.
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K
La psychanalyse, je lui dois respect. <br /> <br /> <br /> <br /> Elle m’a libéré partiellement de mon atonie et ça, par la parole et non la chimie ! <br /> <br /> Par l’association libre et l’attention à mes rêves ! <br /> <br /> <br /> <br /> Concernant la théorie, j’y adhère totalement et à demi.<br /> <br /> <br /> <br /> La psychanalyse est toujours critiquée pour son manque de précision scientifique. Et alors ?<br /> <br /> <br /> <br /> Est-ce là l’essentiel ? La pulsion est un concept qui se situe entre le biologique et le psychique. <br /> <br /> <br /> <br /> Freud avait déjà prévenu ses lecteurs : <br /> <br /> « La doctrine des pulsions est, pour ainsi dire, notre mythologie. Les pulsions sont des êtres mythiques, grandioses dans leur indétermination. » <br /> <br /> <br /> <br /> Et c’est parce qu’il y a indétermination, qu’il y a possibilité qu’une liberté émerge. <br /> <br /> <br /> <br /> Et ça, ça n’a pas de prix.
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K
Au fond, j'ai un désir de retour à l'inanimé, au non-être, à la terre. <br /> <br /> <br /> <br /> Est-ce négatif ? Oui, pour ceux ou celles qui ne jurent que par la productivité ! <br /> <br /> <br /> <br /> Hors, je ne suis pas une machine. Je ne peux me maintenir constant. A moins de me battre et me prendre en main. De pousser la bête paresseuse à coup de cravache ! <br /> <br /> <br /> <br /> Non ! <br /> <br /> <br /> <br /> J’aimerais qu’on apprenne à laisser les choses tranquilles, qu’on laisse pousser les ronces ! Sans se soucier d’une quelconque gêne.
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O
Bravo pour ces commentaires sur la psychanalyse.<br /> <br /> Les objets fantasmés nourrissent la poésie.<br /> <br /> Yahvé, premier dieu d’Israël, le montre par son anthropomorphisme évident.<br /> <br /> Puis, dans les monothéismes, il est « l’autre » de la réalité terrestre, totalement abstrait pour être inatteignable, et garder ainsi sa suprématie. Et remplit plusieurs fonctions dans l’affectivité humaine.<br /> <br /> Le prophète est le frère du poète.<br /> <br /> <br /> <br /> René Char : « le poème est l’amour réalisé du désir demeuré désir »
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Y
Beaucoup de choses sont à dire concernant la psychanalyse tout en restant méfiant face à la tendance moderne qui consiste à tout expliquer, même ce qui ne peut l'être. Pour moi un élément important consiste à reconnaître la nature mythique de la psychanalyse, (le mythe étant intermédiaire entre le fantasme et le concept dixit VALABREGA). Si la psychanalyse a connu tant de succès, c'est bien parce qu'à une époque donnée, au moment où les religions s'effondrent et où l'individu se retrouve seul en face de son destin, elle a su présenter une explication des pulsions irrationnelles de toujours ; l'inconscient vient dire le mystère de l'affectivité, de la destiné, de la souffrance ... il se présente non pas comme une "découverte" mais comme une invention hypothétique. Freud a inventé un nouveau mythe un peu comme ont pu le faire des anciens, comme par exemple les Grecs qui supposaient le retour des morts, l'existence des dieux, pour permettre aux humains de se libérer ou de faire avec ce truc qu'on appelle la vie, la mort, l'existence ... Ce qui est génial dans le mythe de la psychanalyse, c'est qu'il énonce qu'on ne pourra jamais connaître l'inconscient, puisque ... il est inconscient précisément. On ne devrait pas dire que Freud a découvert l'inconscient, on devrait dire qu'il l'a inventé pour tenter de rendre compte de faits incompréhensibles caractéristiques de l'humain. Lacan en rajoutera une couche : tout en postulant l'existence de l'inconscient il l'associera au langage qui caractérise l'humain dans sa différence d'avec l'animal. Ce qui est troublant c'est l'incapacité de beaucoup "d'adeptes" de la psychanalyse de ne pas reconnaître cette nature mythique de la psychanalyse, de la prendre comme une vérité.
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