Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
Archives
Visiteurs
Depuis la création 1 054 760
29 juin 2011

"TU DOIS CHANGER TA VIE" : SLOTERDIJK

"Tu dois changer ra vie". C'est le titre du dernier ouvrage monumental de Peter SLOTERDIJK. C'est d'abord l'injonction finale d'un sonnet de Rilke : Torse d'Apollon. Ce qui m'interpelle dans cette formulation c'est l'impératif catégorique, digne de Kant : "tu dois". Pour moi qui ai passé ma vie à défaire les impératifs cette exigence sonne d'abord comme une trompête du jugement dernier. Passées la surprise et l'exaspération, je réfléchis de plus près :  ne serait-ce pas là le seul fondement possible d'une morale de notre temps?

"La morale est un rétrécissement de la cervelle" écrivait Rimbaud. J'ai toujours pensé de même. Je suis d'avis que la loi devrait suffire à garantir un rapport civilisé entre les hommes, et qu'il n'était pas utile de s'encombrer de toutes sortes de considérations supplémentaires, et surtout de ne pas verser dans cette hideuse culpabilité qui nous étreint et nous réduit à l'impuissance. Cette résolution vaut pour la vie civile. Quant à l'existence personnelle elle relève plus d'une éthique de la liberté que de la loi. Tant que la loi est respectée dans ses princiopes fondamentaux l'éthique peut se déployer dans l'inventivité singulière, sans autre souci de conformité. 

Les anciennes morales tirent leur fallacieuse légitimité de la crainte de Dieu. C'est encore le point de vue kantien qui fonde la moralité sur la Raison et s'exprime dans l'impératif catégorique : tu dois faire ton devoir, malgré et contre le désir sensible. La morale ne vise pas le bonheur mais la rectitude selon la Raison. En dernière instance c'est toujours le dieu de la religion qui s'exprime dans une métaphysique de l'intelligible. "Le contentement moral n'est pas le bonheur, il n'en est même pas la plus petite partie". Kant, du même geste, fonde la morale et en rend l'application impossible : qui donc pourrait vivre delon une telle exigence? - Et pour nous, aujourd'hui, quand le ciel est vide et que tous les dieux sont morts, et le restent, que peut bien signifier une morale du devoir sans fondement crédible?

Le mérite de Sloterdijk est de déplacer totalement la question du fondement : ni dieu, ni métaphysique, ni royaume intelligible, mais la réalité concrète de notre situation présente, planétaire, géopolitique, économique et écologique. Nous ne pouvons continuer comme cela, à ruiner les possibilités de vie par une industrialisation ravageuse, une politique de profit et de puissance à court terme - donc - "tu dois changer ta vie". Le fondement c'est le réel lui-même, qui fait signe à la manière du dieu de Delphes. Certes la planète ne parle comme un dieu antique, mais l'homme conscient peut entendre, et déchiffrer le signe, par exemple dans les catastrophes à répétition. Le philosophe revêt le costume de la Pythie, et pour un peu il jacterait des "paroles délirantes" pour réveiller ses contemporains.

Le "tu dois" exprime un impératif catégorique, sans discussion, sans délai : maintenant tu dois, aujourd'hui même. Tu le dois, c'est tout. Et qui est ce "tu"? C'est toi, c'est moi, parce que ce "tu dois" s'adresse à tous, sans distinction de rang, de classe, de genre, de fortune, de culture, de savoir et de pouvoir.  C'est le gouvernant, certes, qui ne pense qu'à sa réélection, c'est le promoteur qui veut faire des affaires, c'est l'industriel qui oublie l'environnement, c'est le quidam qui prend sa voiture pour faire ses courses, c'est chacun,  oui, chacun, chaque un! 

Changer quoi? - ta vie, ton mode de vie, et plus profondément, ta conception de la vie qui s'exprime dans ta vie telle qu'elle est, et qui participe bon an mal an au désordre général. Et cette vie, telle qu'elle est, se détermine sur des conceptions séculaires, obsolètes et ruineuses, si bien que c'est tout l'arsenal des croyances et des valeurs qu'il faut changer. Cette radicalité du changement à opérer ne peut se dire valablement que dans un impératif catégorique. 

Bien sûr, la tendance est à biaiser : pourquoi moi, que les puissants commencent, et je suivrai. Pourquoi aujourd'hui démenteler les centrales nucléaires, ou verra demain. Nous, on est trop vieux, les jeunes n'ont qu'à prendre cela en mains. Et puis, dans les pays émergents, ils ont besoin de se développer d'abord avant de songer à l'écologie, qui est un luxe des riches - etc.

De fait un impératif est catégorique ou il n'est pas. Une éthique est toujours facultative, optionnelle et élitaire. Une morale, si une morale peut exister, est forcément catégorique. En quoi elle est forcément déplaisante, à rebrousse-poil. Je crains fort que nous ne puissions nous passer de cette morale du "Tu dois changer ta vie". Elle est une des expressions de cette révolution anthropologique dont je vois les premières émergences dans la contestation radicale du système en place.

 

----

Je vois dans cette analyse de Slotyerdijk un dépassement remarquable de cette position classique exprimée encore par Marcel Conche selon lequel le seul fondement possible de la morale est le respect des droits de l'homme. Cette position est encore "un universel abstrait", légaliste et idéaliste. Ce que dit Sloterdijk est autrement décisif : elle est la seule position universellement concrète, sous le signe radical du vivre ou du mourir.

 

Publicité
Publicité
Commentaires
A
Qui dit éthique dit Morale<br /> Qui dit lois dit morales<br /> Avant les droits de l'homme les dix commandements!!!
Répondre
Newsletter
155 abonnés
Publicité
Derniers commentaires
Publicité