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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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23 mars 2016

DE l' AMBITION

 

Il est des gens qui se poussent du col et du coude, dévorant l'espace : "J'aime mieux être le premier dans mon village que le second à Rome" (César). J'ignore tout, quant à moi, de cette disposition sauvage, me tenant, pour l'ordinaire, à l'ombre, dans les futaies modestes du retrait, économe de moi, de mes pensées et de mes énergies. J'évite le gaspillage inconsidéré, dans les dépenses domestiques comme dans la vie. Je ne suis pas de ceux qui, tels un chanteur célèbre, s'épuisent en un jour pour un public qui n'en demande pas tant, et qui s'étonne même de cette fureur. Il m'a toujours été difficile de me produire en solitaire, de m'exposer devant la galerie, de tenir un rôle de parleur public, et s'il a bien fallu que je le fasse comme professeur de philosophie, devant ma classe, je savais que cette solitude était toute relative : le pouvoir de l'institution scolaire, quoique invisible, pesait de tout son poids et fonctionnait en tiers entre moi et les élèves. J'ai parfois rêvé de gagner la célébrité par mes livres. Mais c'était moins pour parader en public que pour entrer dans le débat, intervenir dans le jeu des idées, y apposer une contribution sensée et novatrice. Cela même me fut refusé, ne trouvant point d'éditeur qui acceptât de se risquer sur un nom totalement inconnu, et comme je ne connais personne, comme je ne sais ni flatter ni conspirer, comme je me décourage très vite, doutant de moi et de mes idées, je laisse tomber, je rentre dans ma coquille, je me range à une ordonnance toute privée et retirée, et je confie à la destinée le soin de prendre en charge la modeste contribution que je laisse après moi. Ce blog, au total, est une heureuse solution qui concilie la publication, imparfaite mais régulière, et le retrait, à demi contraint, à demi volontaire, où dorénavant je me tiens.

Je ne suis pas sans ambition, mais elle est au long cours, patiente, cauteleuse, en un mot, posthume. Nietzsche disait qu'il est né posthume. Je n'en dirai pas tant, mais il y a je ne sais quoi en moi qui est au delà du temps, qui demeure dans une sorte de non-temps, qui n'est ni d'aujourd'hui, ni de hier ni de demain, non point immortel, mais a-mortel. C'est le sort des grandes philosophies, comme celles d'Héraclite, de n'être dans le temps que par le temps de leur auteur, mais d'échapper à tous les temps, comme si elles existaient depuis toujours et vivaient pour toujours. Penser avec eux, ou contre eux, vous projette en dehors de la tourbe du monde et vous fait gagner les rivages fleuris de l'a-temporalité.

Avec une telle disposition thymique, n'aimant rien plus que la solitude de pensée, la liberté d'une retraite studieuse et nonchalante, quelques livres, des arbres et des fleurs, on conçoit aisément que j'ai très tôt épousé l'épicurisme, qui me parut instantanément fait pour moi, non point comme système, car on peut toujours y discuter telle ou telle thèse, mais comme vision du monde, comme idiosyncrasie, comme humeur, comme sensibilité, comme évidence du corps et du coeur. L'épicurisme m'a libéré de toutes les mythologies religieuses, de l'idéalisme, du finalisme, en un mot de tout ce qu'on pourrait qualifier d'idéologie. Mais aussi de la haine du corps, des sens, de la sexualité, me ramenant tout doucement à la nature, universelle et particulière, au plaisir immédiat et charnel. Dans un tel monde de la proximité essentielle que peuvent bien valoir le souci du paraître, la montre publique, la vanité d'auteur et l'ambition ?

Je l'avoue : tout cela ne va pas sans mal, car notre nature est ainsi faite qu'on ne se débarrasse pas facilement des inclinations passionnelles. Il faut constamment s'amender et se réguler. Mais la chose est possible, bien que difficile.

Et puis un autre aveu encore : si j'en avais les capacités je construirais volontiers un épicurisme post-moderne, qui en conservant le fondement indestructible de la doctrine (atomisme rénové, pluralité des mondes, infinité de l'espace) saurait faire la synthèse des connaissances actuelles pour déboucher sur une éthique éclairée. J'y reviendrai.

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Commentaires
O
Bien dit; et puis rien à ajouter sur cette position, dont je me sens très proche.
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