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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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29 avril 2020

DE LA DECLINAISON

 

La déclinaison doit être pensée comme ce minimum d'écart qui fait dévier de la droite. Sans la déclinaison, dira Lucrèce, rien ne serait jamais advenu que la répétition du même à l'infini. Ecart "vénusien", angle créateur, car à partir de l'écart minimal on peut penser la dérive, et, posant que d'autres vecteurs dérivent de même, la rencontre en cascades, l'attraction et la répulsion, la combinaison, la formation des corps. Ce modèle prend toute sa force si l'on pose que la déclinaison n'est pas un mouvement second qui surgirait inopinément après le mouvement rectiligne, mais un mouvement qui de toujours a impulsé la puissance créatrice : "natura gubernans", car s'il y a quelque chose plutôt que rien, c'est par la faveur de la déclinaison qui produit, en des temps et des lieux inassignables, les oeuvres de la nature. Si le Tout a toujours existé il en va de même de la déclinaison.

De par son mouvement spontané la déclinaison dérive, s'éloignant à mesure du point d'origine. C'est le tourbillon frénétique des eaux soulevées par les vents, "turbantibus aequora  ventis", ce sont les tornades, et la furie des volcans. Mais ce sont aussi les dérives de l'histoire humaine, à partir des conditions les plus simples, vers l'invention des cités, de l'agriculture, des royautés, de l'esclavage, des armes et des lois. Et la conquête des continents, le colonialisme, l'impérialisme et le capitalisme mondial : dérives du besoin, enflure des appétits, des désirs et des passions. Mais plus on s'éloigne de l'origine, plus le déséquilibre croît, et l'insatisfaction, qu'une nouvelle dérive cherche à compenser, qui à nouveau accroît le déséquilibre. Extraordinaire lucidité de l'épicurisme : le mal de notre temps, et de tous les temps, exposé en quelques lignes lumineuses.

Nous laisserons-nous encore et encore emporter sur la pente maximaliste de la dérive ? Pourtant, en termes de physique, les choses étaient simples : il faut une trajectoire qui dévie d'un minimum, assurant la naissance (physis) des choses, natura gubernans. C'est par la déclinaison que les choses, et les êtres, s'arrachent au néant pour jaillir "aux rivages de la lumière". Mais alors quelle est cette fatalité qui emporte le mouvement vers la frénésie, la turba, la dinè, le tourbillon ? Que la nature connaisse ses crises et son repos, soit, mais nous les hommes ? Pourquoi consentir à cette hubris qui nous fait quitter les conditions originelles, nous propulsant dans la danse effrénée du pouvoir et de la servitude, de la guerre et de la conquête, de l'exploitation sans limite des hommes et la destruction méthodique des équilibres naturels ? 

La leçon épicurienne est des plus simples : si vous êtes lassés des turpitudes et des tumultes de ce monde, revenez tout doucement à l'orée des choses, là où vous sentez dans votre corps et votre esprit ce petit écart minimal, la naissance du besoin, le pétillement du désir - pas plus que le minimum - veillant à ne pas vous laisser entraîner vers l'enflure et la démesure. Epicure disait : un peu d'eau ou de vin, un fromage, et je suis l'égal de Zeus. A chacun de voir quel sera pour lui ce minimum. Il serait bien fâcheux, en ce domaine, de prétendre légiférer pour autrui.

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