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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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8 février 2022

ABANDONNER le RADEAU : des enseignements de méthode

 

"Il est important de connaître le moment où il convient d'abandonner le radeau et de ne plus s'y accrocher. (...) J'ai cultivé bien des fois cette métaphore du radeau afin de vous rappeler combien il est nécessaire d'abandonner les vrais enseignements, pour ne rien dire des faux". (Bouddha, Soutra de la maîtrise du serpent).

Nous avons tendance, en Occident, à considérer un enseignement comme exprimant la vérité, ou du moins de lui fixer comme objectif d'exprimer la vérité. C'était déjà le projet des penseurs dits antésocratiques : "Ecoute bien Pausanias, je vais parler, et mon Logos sera l'expression du Logos universel". Le philosophe était censé dire l'essence des choses, celles du ciel comme celles de la terre, des dieux et des hommes. Cette prétention inouïe, toute de confiance dans les vertus du langage, et de naïveté dans le pouvoir du dire, sera bientôt ramenée à de plus modestes proportions, surtout quand les sophistes, puis les sceptiques, auront montré les impasses structurelles de la raison et la relativité de tout savoir. Le Moderne balance entre une attitude respectueuse et crédule envers la science et une méfiance viscérale à l'égard de toute philosophie qui se présenterait comme expressive de la vérité. La doctrine bouddhique a le mérite insigne d'éviter l'une et l'autre. Il peut sans dommage cohabiter avec les énoncés scientifiques (il n'y a aucun rapport direct entre les thèses scientifiques et le champ d'observation bouddhique) et dans le même temps il évite soigneusement de se présenter comme l'expression de la vérité.

Quelle est la nature de l'Enseignement (le Dharma) ? Il ne dit rien sur ce qui est (le réel), il se contente de montrer un chemin vers ce qui est - une mét-hode (littéralement, une route vers), un ensemble de moyens utiles : "Tous les enseignements contenus dans les soutras sont semblables à un doigt désignant le lune (Lankavatara soutra). A un lecteur de l'Antiquité grecque, cette image fera souvenir de la fameuse phrase d'Héraclite : "Le dieu qui est à Delphes ne montre ni ne cache, il fait signe" - Un doigt tendu vers l'horizon, l'initiateur, un dieu ou un maître de sagesse, désigne, signifie, montre, mais n'enseigne pas, ne dit pas, laisse ouvert l'ouvert à l'exploration personnelle de l'impétrant.

S'il en est bien ainsi, ni Apollon ni Bouddha n'expriment aucune idée sur la nature du réel. Donc la doctrine boudhique n'est pas une doctrine. " En quarante ans Bouddha n'a jamais rien enseigné". Cette phrase prend soudain un relief nouveau. Ce n'est plus une boutade - comme il y en a tant dans les textes - c'est une phrase à prendre exactement comme elle est : il n'existe aucune doctrine bouddique.

Prenons un exemple pour vérifier. Bouddha aurait exprimé une thèse nouvelle et originale sur la nature du moi ou du soi. Nulle part on ne trouve quoi que ce soit qui puisse échapper à l'impermanence universelle. Donc il n'existe nulle part de soi ou de moi permanent, fixe, immortel ou éternel. A l'inverse, ne croyons pas pour autant qu'il n'existe nulle part de soi ou de moi, que tout disparaît avec la mort, et que tout va au néant. En fait Bouddha ne parle pas du tout du soi en tant que tel, il parle de l'IDEE que nous formons du soi, selon deux options contradictoires et interdépendantes : l'idée d'un soi éternel, l'idée d'un soi inexistant, soit l'éternalisme et le nihilisme. Mais celui qui se plaint de disparaître est aussi attaché au soi que celui qui en affirme l'immortalité. Tout cela est inintelligible tant qu'on ne perçoit pas le noeud du problème : il ne s'agit que d'une seule chose, nous libérer de l'IDEE du soi (la représentation mentale) qui nous attache au plaisir et à la peine, à la naissance et à la mort, au chagrin, à la soif d'exister encore et encore, à la crainte ou au désir de ne plus exister. Le problème, le seul problème, ici comme ailleurs, c'es de trouver un moyen de mettre fin à la souffrance. Si la souffrance vient de l'idée du soi, alors il faut se libérer de l'idée du soi. Quant à savoir ce qu'est le soi, s'il existe ou non, s'il est mortel ou immortel, et autres spéculations : il n'en est absolument pas question, il n'y a, strictement parlant, aucun enseignement sur ce sujet - comme d'ailleurs sur la nature de l'univers, des dieux, de l'âme et autres questions dites métaphysiques. 

J'aurai moi-même, je l'avoue humblement ici, mis un temps pharamineux à saisir la différence entre un "enseignement du vrai" et un "enseignement de méthode". Pourquoi cela ? Sans doute que j'étais assez naïf pour croire qu'un enseignement se devait de m'apporter un savoir, qu'un tel savoir était humainement accessible et transmissible. C'est le mythe fondateur de la philosophie, telle qu'on la conçoit et la pratique en Occident. Il faut voir parcouru tout le chemin, de l'ignorance béate, vers l'ignorance de celui qui croit savoir, puis de celui qui ne sait pas qu'il ne sait pas, pour accéder au savoir de ne pas savoir. La question, d'ailleurs, n'est pas tant de savoir ou de ne pas savoir, que de se libérer du prestige fallacieux de la connaissance, quels qu'en soient les formes, les modalités et les objectifs. Si nous ne savons pas ce qu'est le moi, quelle importance, à partir du moment où nous apprenons à nous dégager de ses fantômes, fantasmes et fantasmagories, voyant les choses se faire, et passer comme un oiseau dans le ciel.

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Commentaires
X
La plupart des gens préfèrent rester des disciples et s'accrochent à des tas de radeaux par sécurité. Le Bouddha était une exception...
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T
Bonjour M. KARL,<br /> <br /> Je vous invite à lire cet article sur le Dzogchen : <br /> <br /> http://eveilphilosophie.canalblog.com/archives/2013/09/20/28054783.html
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N
C'est vrai que le Bouddha n'a pas donné un enseignement du vrai mais de méthode parce que ce qui l'interessait principalement c'etait de ne plus souffrir mais ca ne veut pas dire que la Vérité, qu'une Vérité unique n'existe pas. <br /> <br /> Si l'on cherche un enseignement du vrai alors il faut étudier des auteurs comme Nisargadatta, Ramana Maharashi ou Sidarameshwar qui était leur maitre.
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O
j’approuve; excellent; j’ai envie de rappeler à cette occasion ce qu’écrivait un enseignant de la psychanalyse, sud-américain je crois : j’ai oublié son nom; il disait que l’inconscient surgissait au cours de la cure, de la séance avec le patient; qu’il se modifiait aussitôt après la séance; ce qui n’empêchait pas l’apparition d’insight qui guérissent parfois.<br /> <br /> Je ne serais pas étonné que cet universitaire ait une connaissance de l’impermanence bouddhiste.
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