HELLENIQUES - Poésie 16 -(6 à fin)
APOLLON
De tous les dieux
Apollon c'est toi que je préfère
Et Artémis ta soeur jumelle
Chasseresse, enfanteresse
Eternellement chaste et jusque dans l'amour
Fidèle au jour qui t'enfanta!
Je n'ai plus souvenir de tout ce que je sais
J'ai tout oublié, effacé,
Je ne suis plus que ce regard ébloui qui se délivre
Dans le regard immense, infiniment ouvert
Multiple, excentrique du dieu
Qui a nom Univers.
APOLLON (2)
Que se déchirent toutes les images
Que se détisse la suture de la langue
Alors il se pourrait que le dieu apparaisse
Et parfois de sa main gauche il fait signe.
Si le poète survit à l'effraction terrifiante
Du monstrueux sans mesure
Il accède parfois à la parole nue
Fleur du désert qui n'a plus de nom.
DIONYSOS
Assis près de Dionysos à l'ombre des futaies
Je regarde la nuit monter lentement de la terre
Comme une vague tendre et je repense aux jours anciens
Aux promesses de l'aube, aux émois des premiers éveils,
Déjà le coeur se serre aux souvenirs enténébrés,
Le soir se fait plus frais, plus moite sur la peau, plus âpre
Rien ne saurait guérir de vivre et l'espoir est chimère
Dès le premier instant tout est dit, naissance et mort
Sont le même et le seul réel qui consomme l'extase
L'origine et la fin dans un unique flamboiement.
Je voudrais me dissoudre en fumée dans le ciel rougeoyant
Eparpillé, poussière et or, dans l'incendie solaire
Et s'il me reste encore un peu de temps sur cette terre
Que ce soit comme flamme et cendre en attendant l'aurore.
LUMIERE GRECQUE
Je vis avec les dieux
La nature m'enveloppe et me porte
Je n'ai plus peur.
De toujours j'aime les arbres et la rivière
Je regarde tomber le feuillage d'hiver
Une aube d'ocre tapisse la montagne
Les dieux sont parmi nous.
Je ne manque de rien
Le fond obscur de toutes choses
Monte de la grande Faille originaire
S'extasie en soleils!
Vivons, vivons, amis chers
Vivons de peu
Rien ne manque à qui respire
Qui danse dans le Feu!
ORPHEE (2)
Ici, tout près
Des tourbières, suinte
Le rocher.
Ici, nul
Osier ni ruisseau
Nulle nymphe.
Matin glauque. Pourtant
Le bois je l'ai lissé, caressé
Nervures décapées,
J'ai accordé tous les mots de la langue.
Toi seul tu manques, toi
Dieu-lyre,
Ta parole.
EURIPIDE
Voici la délicieuse strophe qu’Euripide consacre aux Grâces et aux Muses : « La folie d’Héraklès » v 673 à 684 :
« Je veux, tout au long de mon âge,
Unir les Grâces avec les Muses
Délicieuse alliance.
Je ne saurais vivre sans elles,
Vivre sans leurs couronnes.
Le poète a vieilli mais sa chanson retentira encore.
Pour louer Mnémosyne et les victoires d’Héraklès,
Bromios toujours me donne son vin ;
Voici la cithare aux sept cordes, la flûte de Lybie.
Il n'est pas temps pour moi de renoncer aux Muses,
Qui m’ont admis parmi leurs chœurs. »
Bromios ici nommé est un des innombrables noms de Dionysos. Remarquons qu’Euripide ne dissocie point dans son chant la lyre d‘Apollon (la cithare aux sept cordes) et la flûte dionysiaque. Les deux divinités sont nécessairement associées dans la célébration lyrique. Deux sources de la poésie, et qui n’en font qu’une : le chant des profondeurs chtoniennes et des jeux sublimes de la lumière, terre et ciel, un seul monde.
ARTEMIS
Artemis-forêt
Tes biches protège-les
Des flèches tueuses
Comme le vent protège la mer
La berçant de son amour.
SYSYPHE
Nous glissons incertains sur le fleuve du temps
Roulant de pierre en pierre
Une vie morcelée, éclatée
Que seul un dieu pourrait parfaire
Mais les dieux sont bien morts
Hélas, il ne suffit pas qu'ils soient morts
Il faut les tuer une seconde fois
J'étais triste, jadis, j'avais trop de peine
Mais la peine s'en est allée
Au fil des jours, au fil des nuits
Ni bleu, ni rose, noir ou gris
Le jour naît de la nuit insondable
Et retourne à la paix de la nuit.