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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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29 avril 2014

Du NON-FONDEMENT, et du sujet

 

 

La pensée est de nature portée à rechercher un fondement ultime, une "chose" première et dernière à partir de quoi se développerait le processus infini du devenir. Il nous est quasiment impossible de concevoir le devenir comme auto-suffisant, capable par soi de produire et de détruire, nous voulons, par une sorte de naïveté intellectuelle, que le changement porte sur quelque chose qui serait indépendant du changement, qui conserverait sa nature propre à travers les changements qui l'affecteraient du dehors, en somme nous nous obstinons à distinguer le changement de la chose qui change sans changer. Nous voulons de l'immuable, du solide, du constant, du substantiel, que nous appelons l'être, ou la substance, ou l'atome, ou l'idée, ou la matière ou tout ce qu'on voudra. L'essentiel, au bout du compte, est de se rassurer, de satisfaire un besoin vital de certitude, et quel que soit le terme retenu, il fera l'affaire, s'il ne s'agit que de boucher le trou de l'inconnaissance. C'est en ce lieu précis que divergent les pensées, les unes, les métaphysiques, opteront pour le fondement, l'en soi, la chose, le principe ; les autres laisseront ouverte la brèche, accueillant le vent de l'espace infini, dansant avec les tourbillons.

Cette option, ou cette certitude, ne repose sur rien, s'il n'existe rien qui fasse fondement. Mais elle exprime une expérience de pensée, plus encore, une expérience radicale de la brèche. Elle n'aurait guère de valeur si elle n'était que le fruit d'une spéculation, fût-elle remarquable. Car en dernier ressort, que savons-nous de la structure de l'univers, s'il est fini ou infini, éternel ou non, et autres questions semblables? Et en quoi ces questions sont-elles vraiment significatives, si de toute manière, à notre échelle, toutes choses sont éphémères et périssables? Notre vision du monde, en dépit de tous les progrès de la connaissance, ne peut être autre chose qu'une projection, une interprétation à partir de la structure de notre cerveau, une extension hors de nous de toutes les capacités des sens et de l'intellect, une gigantesque toile d'araignée, une forêt de signes et de symboles par quoi nous croyons saisir la réalité, alors que nous ne pouvons faire autre chose que de déployer les artefacts de notre pensée. Le monde que nous pensons est toujours notre image, notre miroir spéculatif. Si bien que nous faisons retour à la question de départ : l'image du monde vient-elle confirmer l'image du moi comme structure close, ou structure ouverte, clôture parménidienne, ou dispersion démocritéenne, être en soi et par soi, ou devenir infini?

Il me semble qu'il est de la plus haute importance de poser ce "rien" à la racine de toutes chose, quelles que soient les termes que nous utilisons, et qui tous sont insuffisants, trompeurs et controuvés : rien, vide, vacuité, apeiron, arrythmiston. Ajoutons que la langue elle-même, du moins celle de l'espace indo-européen, conspire, de par sa structure grammaticale, à nous induire en erreur, si en toutes choses elle nous contraint à distinguer un sujet et un verbe, opérant une séparation entre l'action et l'agent : pas d'action sans acteur, voilà notre mythologie. Nous disons : "il pleut", mais quel est ce "il" qui pleut? Le tonnerre gronde, mais comment séparer le tonnerre de son grondement? Le tonnerre pourrait-il ne pas gronder, est-il libre de gronder ou de ne pas gronder? Nous voilà à réifier un mythique tonnerre disposant du libre arbitre, comme sil s'agissait de quelque divinité homérique : on entrevoit tout l'arrière plan mythologique, la longue histoire des âges primitifs qui parle toujours encore dans notre langue, et conditionne notre appréhension des faits. Il en résulte entre autres choses une conception ontologique du sujet, conçu comme agent libre, séparé de l'acte, capable d'agir et de ne pas agir, souverain, fondement universel. Un pas de plus et voilà Dieu en personne, créateur du ciel et de la terre : '"Dieu, cet asile de l'ignorance" (Spinoza).

Tout cela fait série : le sujet comme auteur de l'acte, le libre arbitre, la création ex nihilo, Dieu le père, et l'être comme fondement.

C'est évident, il faudrait un nouveau langage, capable de dépister les impensés de la langue, de les déplier dans la critique, d'exhiber ses prérequis implicites, de démythifier les mythes, d'étaler la surface plane de la signification, d'exhumer les présupposés idéologiques : travail préparatoire, avant que de songer à dire, car on se demandera fort légitimement s'il est encore possible de dire sans retomber malgré soi dans les errements de la mythologie.

A titre d'exemple : comment utiliser la notion de sujet sans verser dans l'idéalisme, la substantification ou l'ontologie? Méthodologiquement il faudra faire tout ce qu'il est possible pour se passer de référence au sujet, et n' y recourir qu'en désespoir de cause, tout en précisant à chaque fois que ce sujet n'est pas une substance, une identité, une permanence, rien que le signe inévitable d'une singularité irréductible, l'opérateur logique d'une effectuation. Et rappeler, une fois de plus, la quadruple aporie établie par Enésidème (à la suite de Pyrrhon), présente elle aussi dans la pensée bouddhique :

Du sujet je ne peux affirmer :

      il est

      il n'est pas

      à la fois il est et il n'est pas

      à la fois il n'est pas et il n'est pas non-étant.

Mais on pourra sans grand dommage se contenter de la formule d'Héraclite : "nous sommes et nous ne sommes pas ", l'essentiel étant d'éviter la thèse éternaliste (nous sommes) et la thèse nihiliste (nous ne sommes pas) et de poser un entredeux suspensif, qui ne dit rien de stable, de définitif, tout en ouvrant la pensée à la féconde incertitude du non-fondement.

La difficulté est de penser un sujet multiple, évolutif, naissant, mourant  et renaissant, devenir et processus, alternatif et suspensif, actif, passif et réactif, insaisissable, indéfinissable, imprédictible, aléatoire, voilé et dévoilant, et, à la manière d'Eros, daïmon errant à l'infini entre la vie et la mort. C'est évidemment plus inconfortable, plus déroutant que le bon vieux sujet de la métaphysique pétri de vaine certitude et d'indécrottable illusion.

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Commentaires
J
En philosophie, nous cherchons à atteindre l'inaccessible étoile de la Quête de Jacques Brel, mais nous nous en approchons que de très loin,<br /> <br /> Cette infinitude de vouloir un absolu à notre portée, est-il une qualité propre à l'homme ou sa principale volonté de vouloir être supérieur à lui-même ? Sommes-nous des Adam et Ève qui ont le besoin d'atteindre la connaissance absolue, celle que les dieux possèdent ?<br /> <br /> <br /> <br /> Nous sommes que de petites choses qui veulent être aussi grande que celle qui Est. Impossible d'y parvenir, notre divinité se limite à avoir les pieds trop ancrés sur notre terre et rien, n'y personne ne nous permettra d'atteindre la Vérité sur notre existence d'être humain... Spinoza a bien raison, Dieu est le refuge de notre faiblesse, de cette éthique limitée à nous conduire à la fin de notre vie et non à l'absolu de l'éternité.<br /> <br /> <br /> <br /> Plus nos pas sont petits, plus l'infini est grand... Faut-il renoncer à vouloir grandir, croire et espérer ? Non, puisse que c'est grâce à cette volonté que nous avons la possibilité de vivre dans le peu d'un bonheur limité, mais où nous aimons nous y réfugier... Sinon, qu'elle pourrait être notre raison d'exister ?<br /> <br /> <br /> <br /> Athéna veille sur notre sagesse, continuons à être heureux de vivre en philosophie.
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S
Un jour.<br /> <br /> Un jour, bientôt peut-être.<br /> <br /> Un jour j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers.<br /> <br /> Avec la sorte de courage qu’il faut pour être rien et rien que rien.<br /> <br /> Henri Michaux (Clown)
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