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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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14 février 2014

ESTHETIQUE du PLAISIR

 

 

La grande erreur est d'imaginer un accroissement infini : on ne parvient jamais au terme, on se lamente, on gémit contre l'ingratitude de la nature, on cultive le ressentiment. La grande sagesse des Grecs s'exprimait dans le "ou mallon" : pas plus, car une fois atteinte, la perfection ne peut souffrir d'aménagement sans se corrompre. Il en va de même du plaisir. Quand la fin (telos) de la nature est atteinte il est vain de chercher plaisir plus intense : "le plaisir dans la chair ne peut s'accroître une fois supprimée la douleur du besoin, il peut seulement varier" (Maxime Capitale, XVIII). Epicure revient souvent sur la notion de "telos", à entendre comme accomplissement : la fin de la nature, si simple et si facile, est le plaisir résultant de la suppression de la douleur, état infiniment positif, plein et parfait, exprimant la plénitude de la condition humaine, où le sujet "peut rivaliser avec Zeus en bonheur". 

Ou mallon : il n' y a rien au-delà, si ce n'est l'espoir insensé, la chimère, la rêverie nourrie d'opinions creuses, et conséquemment l'inquiétude et l'ingratitude. L'insensé n'en aura jamais assez, imaginant des paradis à venir où s'abreuve l'insatisfaction chronique. C'est le tableau affligeant du monde contemporain, et sans doute de tous les mondes passés et à venir : anthroplogie critique de l'insatisfaction humaine. Telos c'est le but, c'est aussi la limite, car l'accomplissement fait limite, du moins pour une tête bien faite.

La formule de notre époque pourrait être : toujours plus, ou encore : trop c'est trop peu. Encore - plus de jouir en corps, et en esprit! "Il doit exister quelque part un pays où la jouissance est illimitée, îles bienheureuses baignées d'un éternel soleil, peuplé de vahinés lascives, infiniment disponibes, chatoyantes et caressantes, lupanars aphrodisiaques et tropicaux où la chair est belle, heureuse, où le temps n'existe plus,  ni la règle, ni les infâmes limitations qui nous emprisonnent". Et chacun y va de son délire intime, qui de sa nostalgie incurable, qui du désir d'infini, qui des dieux ou des anges, "enfer ou paradis qu'importe", comme disait le poète.

La limite atteinte, le plaisir ne peut que varier : poikillein, "représenter avec variété de couleurs, orner broder, varier, diversifier". C'est déjà beaucoup. L'art substitue à la simple nature le jeu du raffinement, la diversité de formes et de couleurs. Esthétique de la pulsion : faire le tour, diversifier les points de vue et les approches, jamais de gloutonnerie ni de précipitation, humer, taster, gouster, vivre ce kaïros de la rencontre opportune, prendre le temps. J'imagine bien Epicure écrivant à Métrodore : "rapporte moi, mon ami, un de ces délicieux petits fromages de nos régions, pour varier l'ordinaire, et pour les occasions plus rares quelques flacons de vin de Samos, de quoi agrémenter nos prochaines conversations avec tous nos amis d'Athènes". Quant à la volupté, pas de quoi divaguer : au Jardin vivaient quelques nobles hétaïres, les Leontion, Mammarion, Hédéia, Erition et Nikidion, fraîches converties pleinement associées à la vie philosophique. 

"Rien de trop" :  toute la question est de découvrir d'où vient cette obsession du trop. Tenter d'y répondre c'est proprement philosopher.

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Z
"Rien de trop" : toute la question est de découvrir d'où vient cette obsession du trop. Tenter d'y répondre c'est proprement philosopher. (scribit Karlus)<br /> <br /> <br /> <br /> Mais la réponse n'est-elle pas déjà toute apprêtée, le désir pour le Bouddha, et le vouloir-vivre pour Schopenhauer ? peut-on aller plus loin ? Deux penseurs, l'un oriental et l'autre occidental qui se rencontrent si bien peuvent-ils se tromper ? Si non, cessons de philosopher (tourner autour du pot), et sautons à pieds joints dans la lumière du jour. Oui, mais vous me direz qu'il faut bien l'aménager de quelque couleur, cette lumière, et tant qu'on vit, d'où l'art, mais se rappeler toujours que point de couleur sans lumière. Ô origine, quand tu nous tiens. Après tout, point de soleil, point de planètes.
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