CORPS-UNIVERS : POESIE 3 (recueil, 1 à 4)
CORPS UNIVERS
ARGUMENT
Formes dissoutes,images disloquées
Dans la déroute du corps-arbre, du corps-maison, de l'architecture ordinaire qui magnifie l'unité et le sens, je ne vois nulle tristesse, mais l'aube d'une nouvelle histoire qui porterait dans l'ordre humain les brillantes révolutions de l'astrophysique, parachevant la décentration initiée par la science.
Dissous dans l'univers, mêlé aux milliards de courants de la matière inventive et féconde, le corps-esprit retrouve sa patrie. Je suis, sans frontière ni centre, à l'équicentre de tout, universellement dispersé, et, de manière toute impersonnelle, immergé à perpétuité dans l'indicible présence.
1
Je me rince l'oeil
Petit garçon au regard épaissi
Calfeutré d'idées fausses
D'interdits
De péché, de dénature et de peur
Que ne pouvais-je voir, coeur battu, coeur battant
Par la serrure entrouverte le trou
Sublime
Ouvert sur tant de profondeurs humides
Tropicales et douces et fleurant bon
La caresse à distance
Comme de petits chats qu'on lèche du regard
Avec de tendres jappements goulus
Ah la première faim, l'inapaisable
Délicieuse insuffisance qui laisse ouverte
Au flanc de l'être la plaie suave du plaisir!
2
Je vois partout de la beauté
(je suis en Toscane au bord de la mer et je me promets de délicieuses visites à Florence, Pise, Sienne, et mille rencontres de hasard...)
Ah quel plaisir
La sieste sous les pins
Quelques beaux livres d'art du monde entier
Et Valéry Larbaud, Cendrars, et quelques autres
Et tout autour
La merveilleuse langue italienne
Cet opéra perpétuel
Gina, Giuliana, Giuletta, Francesca
Et cela chante, roucoule
Et berce et pleure et console et bénit
Douce voix de l'enfance immortelle
Baisers mouillés, voluptueuses larmes
Le regard embué de la Vierge au rocher
Enveloppe l'enfant dans un nuage rose
Des filles jouent à la marelle
Leurs cris font palpiter l'ombre des pins
La lumière s'incurve et s'adoucit
Tous les instants miment l'éternité
Et toute chose fait retour à l'origine...
3
Le destin
C'est le traçage des routes
Routes du sang
Lignes
Articulations
Fuite du plaisir lent par les feuilles de l'âme
Frayages de douleur
Excitations
Eboulements
Toute une cartographie sensitive et lascive
Turbulences, dérives, feuillaisons
Villages de moiteur sous les collines
Hanches qui portent des enfants nus
Tahitiennes éberluées, Gaughin partout où chante la couleur
L'Egypte toujours, dans le coeur et ailleurs
Chevelures, cascades - ô chevelures
O combien je vous aime
Constellations fileuses, neigeuses, cascadeuses
Ah le corps est un monde inexploré
Tous les médicastres n'y connaissent rien
La surface est une immense profondeur
Mille abîmes dans un grain de peau
Mille cavernes multicolores et sonores
Avec des centaines de tortues bleues qui passent comme des rêves
Hiératiques
Je voudrais parcourir les fleuves lents du corps
Remonter les courants souterrains
Jusqu'à la source obscure, inexplorée
Le Nil y prend son départ pour la mer à travers les déserts
Le malheur agonise
Les dieux nous guident, ces pensifs méridiens de libido itérative
Rien ne résiste
Le bonheur
C'est l'esquif invisible, invincible
Qui trace à la surface bleue ces rayons chatoyants
Jusqu'à l'extrême où se dissout le corps.
4
Le corps-esprit est une nébuleuse
Un éparpillement
Comme un poème
Eclaté, dispersé, disloqué
Chaque mot est un centre
Chaque syllabe.
Il n'a pas d'origine, pas de fin.
Toujours ouvert
Nappe de sable et vent de mer.