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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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30 octobre 2013

De la BLESSURE INTIME

 

 

Sans doute avons-nous, chacun d'entre nous, notre blessure secrète, une zone psychique particulièrement délicate où la moindre égratignure peut provoquer les plus grandes souffrances. Par un certain coté de nous-même nous savons bien qu'elle est là, tapie dans l'ombre, mais en général nous évitons soigneusement de la considérer, nous maintenons la fiction de l'ignorance pour nous rassurer sur notre propre compte, et pour conserver une image aimable de nous-même. En quoi nous avons tort, car de la sorte nous nous privons d'une connaissance essentielle. Cela démontre une fois de plus que le ressort inavoué du savoir est le maintien du non-savoir.

De toute manière ce secret, si c'en est un, finit toujours par se révéler au grand jour. Il y suffit d'occurrences un peu particulières, comme la ruine d'une amitié, une rupture sentimentale, un échec ou une déception. Alors la plaie s'ouvre béante, exposant ses arcanes de douleur rentrée, de ressentiment, de désespoir et d'attente, de désirs impossibles. Alors l'enfant qui est en nous retrouve ses plaintes et ses douleurs d'enfant, et dans un spasme expulse soudainement la kyrielle de ses contrariétés, ou dans un cri déchire l'image conventionnelle, l'habillage social qui lui servaient de masque et de faire-valoir. Moment fécond, qu'il faudrait écouter et entendre, élaborer par la parole. Exprimer violemment ses motions ne suffit jamais, il faut analyser plus loin.

Refouler c'est remettre à plus tard, et cela revient toujours. Se fâcher, crier, violenter ne mène pas à grand chose, et, la crise passée, les affaires reprennent leur cours banal et ordinaire. Il faut élaborer, perlaborer, travailler au travers. La blessure exhibée appelle de nous un travail de vérité.

"Ma blessure existait avant moi, je suis né pour l'incarner". Elle existait avant moi par ce qu'elle est la marque d'une inadéquation originelle, d'un impossible structural. On m'a demandé de m'inscrire dans le régime général et conventionnel du langage, de dire mes désirs et mes demandes, de transformer mon être originel en être social, de me plier à l'ordre symbolique et d'y incarner socialement mon désir, et comment voulez-vous que cela puisse marcher, se faire sans hiatus, sans révolte, sans douleur, sans cri et sans contestation? On me demande de renoncer à mon être même pour épouser cette forme conventionnelle et controuvée de l'enfant adapté, du mari fidèle, du père de famille responsable, de l'employé, du citoyen, et que sais-je encore? Le contrat de socialisation est, selon les mots de Kant, "pathologiquement extorqué", et c'est ainsi que la blessure était là avant moi, et que moi, surgissant dans le monde, je me vois destiné à l'incarner.

On troque l'être pour le paraître, la vérité pour le semblant.

Cette affaire-là, chacun de nous la connaît, mais chacun à sa manière singulière, qui de manière douce et souple, qui dans la douleur de l'arrachement, mais jamais sans mal ni renoncements.

La blessure est la marque de l'obligation symbolique, marque au fer rouge quelquefois, mais toujours une blessure, qui tantôt cicatrise heureusement, tantôt reste béante, appelant de pauvres pommades inefficaces ou de belles transpositions créatives. De là s'origine le travail de l'écrivain, la passion de l'artiste, la pensée, heureuse ou malheureuse, répétitive ou novatrice, et la névrose, et la trop fameuse "résilience". Toute la question est de savoir comment la souffrance peut se transmuer en beauté.

Ce qui est clair en tout cas c'est que chacun, s'il veut évoluer en soi-même, est invité à travailler avec sa blessure. De faire avec comme on dit, non pas sur le mode passif de la plainte et du ressentiment, mais comme élément essentiel et central de la psyché. Tout le reste est relativement facile : l'adaptation, la socialisation externe et même la moralisation. Mais cela, cette blessure au fond de soi, requiert l'énergie la plus vive, la plus grande patience, le goût sublime de la connaissance, et un courage à toute épreuve. Nous avons, heureusement, dans l'histoire de la culture universelle, de beaux exemples qui nous montrent que la chose est possible.

 

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Commentaires
A
Oui! il y a la blessure!<br /> <br /> Mais il y a la consolation : La Vie
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