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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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31 octobre 2013

De la BLESSURE, de la FAILLE, et de la VERITE

 

 

Mais la blesssure ouvre sur quoi? Encore une fois c'est chez les Grecs que je trouve la réponse :

     "Or donc, tout d'abord, exista Faille, puis par après, Terre Large-Poitrine

     Base sûre à jamais pour tous les êtres" (Hésiode, Théodicée 116, 117).

Faille traduit Chaos : ouverture, baîllement, hiatus. Elément primordial sans forme ni bord, qui n'est pas un non-être, mais pas davantage de l'être, si ce n'est comme potentialité indéfinie : apeiron (Anaximandre), le sans-limites, ou l'"arrythmiston"(Antiphon), le sans-figure, l'informe d'où naissent toutes les formes, et à qui elles retournent.

Ce qui me sollicite heureusement dans la présentation mythologique d'Hésiode c'est un modèle qui vaut pour l'univers en gestation, la naissance des principes, des dieux, des hommes, et de tous les êtres qui trouveront sur la terre, dans la mer et le ciel leur demeure, mais le modèle vaut également pour la psyché, d'autant que nos modèles de l'univers sont forcément des projections de la psyché. Ce modèle pose un élément fondamental, en creux, en abîme, le chaos, sur lequel s'édifient la structure formelle, la terre et les autres éléments. Le chaos est invisible, absent de la représentation, indéfinissable si ce n'est en négatif comme non-forme, non-structure etc, source obscure comme la grande Nuit d'où s'originent le Jour, et la Lumière, et tous les mondes. 

Entre la faille et la structure j'imagine une sorte de clapet qui tantôt s'ouvre et tantôt se ferme, dans un battement alternatif qui fait pour chacun son rythme psychologique fondamental. J'imagine ensuite la fonction du fantasme inconscient comme un fondement qui sert à colmater la faille, à repousser l'angoisse originaire, en donnant une direction et une signification à l'existence du sujet, au prix évidemment d'un éloignement, d'une occultation de la source. Le fantasme est une constrution mentale qui donne une réponse imaginaire aux questions que nous ne pouvons manquer de nous poser, dans la dériliction où nous plonge l'énigme de notre propre existence : qui suis-je, suis-je désiré, aimé tel que je suis, ou tel que les autres voudraient que je sois ; quelle est mon origine, qui sont mes parents, de quelle rencontre suis-je le fruit ; suis-je garçon ou fille ; quelle est donc cette coupure que j'expérimente dans mon corps et dans ma psyché - toutes questions insolubles au jeune enfant, qui ouvrent sur l'énigme de la vérité, sur le statut insondable du réel, sur la faille en un mot, et à quoi on répondra en inventant ces fables intimes qui constitueront l'ossature du fantasme. De la sorte le clapet se ferme, et l'existence pourra s'édifier sur des mythes fondateurs, tantôt désastreux (je suis un mauvais objet, je ne suis pas aimé tel que je suis, me voilà condamné à fabriquer une identité controuvée, un "faux self" pour me faire accepter) tantôt positif et facilitant (je suis le plus beau, le meilleur, ce que je fais est nécessairement bien etc), et chacun voit instantanément les effets psychologiques et relationnels de cette construction archaïque, dont la "vérité" est pour le moins contestable. Cela peut marcher longtemps, mais aussi cela peut entraîner des catastrophes, et alors il y a lieu de revoir tout l'édifice, d'en modifier le fondement.

Explorer le fantasme, sa structure, son origine, sa fonction est l'oeuvre spécifique de la psychanalyse, qui par là se distingue de toutes les autres psychothérapies. C'est dire aussi combien cette entreprise est difficile et risquée : sitôt qu'on approche de ces zones de douleur et de jouissance le sujet se rebiffe, et très souvent interrompt la cure.

Le sujet croit que le fantasme est son être même, alors qu'il n'en est qu'un masque aliénant. Si l'on peut parler d'une vérité du sujet elle serait plutôt dans ce domaine obscur qui se profile en deçà de la faille, dans ce vaste domaine de l'indéterminé, de l'informe, des pulsions originaires, dont la meilleure présentation, à mon avis, est donnée dans la thérie groddeckienne du çà, conçu comme substance universelle, fond informe et dynamique présidant à toutes les formations, actives et passives, symptomatiques ou créatives de la vie. "Nous sommes vécus par le çà" - par là Groddeck dépasse largement le point de vue freudien, et rattache l'individu à ce qui le fonde immédiatement dans la vie et la puissance universelles. C'est aussi une manière élégante de mettre fin au sentiment poignant de solitude qui étreint l'homme conscient de sa finitude en l'immergeant spéculativement dans le sentiment et la conscience de la Nature : natura naturans, substance infinie, et seule réalité véritable.

 

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