Du BEAU - et de Venus gubernans
Qu'est ce que le beau? C'est un voile, un voilement, un artefact, un enveloppement soyeux autour d'un trou. Une parade, esquive et danse, qui dissimule, et, dissimulant, révèle sans nommer, signale sans souligner. Plaisir et passion des orifices, car sans orifice pas de trou. En quoi le trou n'est pas un chaos : le chaos n'a pas de bordure, et c'est la bordure, avec sa double dimension, externe et interne, membrane et muqueuse, qui fait consister le trou. Les lèvres font la bouche, en décrivent le cratère, appellent la caresse, ou le baiser. Le corps, troué de toute part, offre des lieux multiples à la possibilité du plaisir, contact de peau, glissement, frottement doux et rythmique, jusqu'à la pamoison.
Le beau est un appeau, un appel, "une promesse de bonheur" (Stendhal). Il offre un plaisir, il évolue dans la sphère du plaisir, mais non point à la manière du joli, ou du gracieux qui flatte les sens, qui se prête à une cueillaison instantanée : le beau invite et se tient à distance, il séduit sans céder, il garde je ne sais quelle réserve, exigeant de l'effort avant que de se rendre. La beauté n'est pas fille des rues, hétaïre ou harangère, c'est une dame, compagne naturelle du philosophe amoureux, amante altière et distinguée. Elle ne s'exhibe pas, elle danse dans ses voiles chatoyants, s'approche et se retire, fait durer, languir, et désirer encore, jouant du feu et de la braise, elle inspire et relance, elle joue et déjoue, éternise et déçoit, et dans cet espace ouvert emporte l'amoureux dans un vertige de merveilles.
Le joli flatte, le beau inspire, le sublime accable. Aussi faut-il préférer le beau.
Le joli est trop proche, le sublime trop loin, seul le beau est à la bonne distance, entre le trou insondable du réel, et les chimères de l'illusion. Car il y a une certaine réalité du beau, qui n'est pas rien, qui nous fait aimer les apparences, nous réconcilie avec la chair et le monde, nous inspire le désir de la durée, l'amour "des belles choses", et la gratitude inconditionnelle. Elle fait miroiter la surface des choses, irradier le clair, chanter la profondeur des corps. Elle n'efface pas la laideur, ne supprime ni l'horreur ni la violence, ne colmate pas les brêches, elle répand sur le monde une gaze légère, des poussières de soleil, qui dansent comme des perles dans le petit matin, et qui s'éteignent dans le soir. La beauté est périodique, comme est la femme, apparue et disparue selon des rythmes inconcevables, capricieux et saisonniers. On ne peut ni la saisir ni la gouverner. Elle est, comme dit Lucrèce, "Venus gubernans", celle qui gouverne les vents, les marées, les mouvements du coeur, et, au meilleur de sa puissance, ramène Mars l'intrépide à la douceur indicible des étreintes.