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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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26 octobre 2022

BEAUTE D' EPICURE

 

Evoquer Epicure et l'épicurisme, comme je fais souvent, c'est me réconcilier avec la Beauté. Cela peut surprendre, mais je suis, tout au fond, plus sensible à la beauté qu'à la vérité. Je puis bien soutenir qu'Epicure est vrai, j'ai de solides arguments à cet effet, mais cela ne me satisfait qu'à moitié. On peut dire aussi bien que Héraclite ou Démocrite sont vrais, sans parler de bien des modernes, mais d'Epicure, et peut-être de lui seul, je dirai : il est beau ! Grâce à lui on pourra contempler le vaste ciel, la multiplicité infinie des mondes dispersés dans le vide, la naissance et la mort des étoiles, le mouvement aléatoire des galaxies, l'infini insondable où sont jetés les choses, où nous-mêmes nous surgissons par hasard et périssons par nécessité. Cette beauté là tient du vertige, où chavire la raison, mais où le sentiment s'élève jusqu'au sublime. Sublime à la fois de joie et de terreur : "voluptas atque horror" (Lucrèce). Pascal était effrayé par le silence des espaces infinis, mais en quoi ce silence est-il effrayant ? Sans doute voulait-il un espace où retentît la grande parole de Dieu, mais dans les cieux de la physique règne un silence abyssal, sauf à percevoir la déflagration monstrueuse d'une étoile, de ci de là, qui éclate. Mais le silence de l'univers, en quoi nous concerne-t-il ? Ni des astres, ni des dieux - s'il en est - il n'y a rien à attendre. Il suffit de contempler.

Mais laissons là les grandes visions de l'immense. Retirons-nous sur une île de la Méditerrannée, à Samos par exemple, ou à Mytilène, tout près de la mer, bâtissons une hutte toute provisoire, quelques amis peut-être viendront nous rejoindre. Tantôt le ciel descend se coucher sur la mer, tantôt c'est la mer qui monte vers le ciel. Hyménée de géants ! Mais nous, dans l'intervalle, amants de la terre, amis de l'olivier, et de la vigne, nous savons que le jour est court, et la nuit longue. Mais le beau n'est pas toujours plaisant, parfois terrible. "Au coeur même du plaisir je ne sais quelle amertume..."

Dans un univers livré aux convulsions, dans un monde voué à la destruction, dans une société déchirée par les ambitions contradictoires il y eut un jour un homme, un homme simple comme nous, qui prétendit combattre le malheur et la douleur, non par la croyance et la superstition, mais par la connaissance : quelle est l'origine du malheur ? Quelle est la nature de ce malheur ? En quoi consiste la suppression du malheur ? Comment réaliser cette suppression ?

Ce qui est beau c'est de tenir dans ses mains les deux éléments que tout oppose : la conscience claire du tragique, celle qui résulte de l'observation froide de la nature, et la  décision de vivre en conscience dans le monde tel qu'il est. D'être de ce monde, et pourtant à côté, écart existentiel, ex-chorèsis, solitude peuplée d'amis, d'hétaïres et d'oiseaux philosophes ! De se savoir corps mortel, esprit mortel, et de cultiver des biens immortels. De savoir que le temps fait et défait, que tout passe, mais d'intensifier l'instant qui passe par le savoir qu'il passe !

Oui, il est bien vrai que l'épicurisme est une pensée du plaisir, ce qui le distingue radicalement d'un hédonisme échevelé et vulgaire. Plaisir accepté, conforté, renforcé par la pensée. Plaisir fondé sur la nature du corps mais élevé par la pensée à la dimension d'un art. Voyez ces phrases écrites par Epicure lui-même à la veille de sa mort : "Je vous écris cette lettre alors que je passe et achève en même temps le bienheureux jour de ma vie ; les douleurs que provoquent la rétention d'urine et la dysenterie se sont succédé sans que s'atténue l'intensité extrême qui est la leur ; mais à tout cela la joie qu'éprouve mon âme a résisté, au souvenir de nos conversations passées..." (Lettre à Idoménée). Jusque dans l'extrême de la douleur physique il saura maintenir, par la joie du souvenir, un certain continuum de conscience et d'affection, qui est encore un plaisir.

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Commentaires
L
Merci de ce beau texte et citation
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