Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
Archives
Visiteurs
Depuis la création 1 056 376
27 septembre 2013

Du FANTASME

 

 

Le fantasme est inépuisable. Je veux dire par là qu'il existe dans l'esprit une tendance irrépressible à produire des images dont la fonction est de nature hallucinatoire, comme dans les rêves nocturnes. Ces images sont inspirées, formées selon le principe de plaisir-déplaisir. Elles s'interposent entre nous et la réalité, comme des écrans protecteurs, des grilles d'interprétation, façonnant le monde à notre convenance, selon un schéma singulièrement répétitif. C'est une sorte de moulage inconscient et structurant qui impose une lecture pré-ordonnée, avec les mêmes personnages sous des habillements divers, des actions toujours les mêmes, battre, mordre, violenter, caresser, pénétrer, voir, surprendre, exhiber, chacun y allant de ses obsessions intimes selon une ritualité monotone : eadem sunt omnia semper, sed aliter, "les choses sont toujours les mêmes, mais autrement", comme le remarquait finement Schopenhauer. Peut-être cette permanence du fantasme est-elle une expression nécessaire du psychisme, correspondant à l'activité naturelle du cerveau, encore une fois, comme le rêve. L'hallucination est première, la perception seconde, fruit tardif de la maturation intellectuelle.

Si cette analyse est pertinente, et elle jouit d'une confirmation quasi unanime du monde scientifique, se pose alors un problême redoutable : que pouvons-nous faire, de quelle liberté disposons-nous face à la toute puissance du fantasme? On dira que cette hallucination primitive et archaïque n'empêche pas le sujet de faire sa part à la réalité, de percevoir correctement les choses et les situations, de corriger ses erreurs, de s'adapter, voire de modifier le monde pour le bien commun : science et technologie témoignent abondamment de ce pouvoir rationnel de compréhension juste et d'efficacité pratique. Reste que dans l'intimité du sujet subsiste une sorte de "folie privée", un joyeux chaos sensoriel et émotionnel qui témoigne à l'inverse de notre infantilisme psychique, d'une sorte d'inadaptation foncière à la réalité. Chacun, chaque nuit, se livre au massacre ou à la fornication dans de fumeux combats imaginaires, ou, en plein jour, entre deux phrases d'un exposé savant, se laisse aller à des fantaisies, dont il aurait honte de révéler le contenu. C'est ainsi, c'est peut-être peu ragoûtant, voire humiliant pour l'estime de soi, mais c'est ainsi. Inutile de se révolter, il vaut mieux constater, et réfléchir.

En fait ce n'est pas le fantasme en lui-même qui pose problême, c'est son caractère répétitif et aliénant. S'il est bien une sorte de prêt-à-porter universel qui nous permet de répondre mécaniquement aux problêmes de l'existence, on voit d'emblée le risque. Si une situation totalement imprévue requert une solution originale nous voilà pris en défaut, incapables de répondre. Cela s'observe abondamment dans la vie professionnelle et sentimentale. L'un réussit là où l'autre échoue : c'est rarement une affaire d'intelligence, si l'intelligence elle-même est au service du scénario inconscient.

La plupart des thérapies psychologiques se contentent d'opérer un certain remaniement de la conduite pour permettre une meileure adaptation. Elles se gardent bien de toucher au fantasme fondamental, ce qui d'ailleurs se justifie le plus souvent. Le patient, peu soucieux de connaissance, n'exige rien de plus, en général, qu'une simple amélioration. Mais si l'on veut comprendre en profondeur la psyché on rencontre nécessairement le problême du fantasme.

Il est vain, me semble-t-il, d'espérer une suppression de l'activité fantasmatique, aussi illusoire et inconcevable qu'une suppression du désir. C'est l'erreur générale d'un certain ascétisme qui se pique de changer la nature humaine. Par contre on peut apprendre à s'en dégager, à créer un écart entre l'image et le comportement, à briser la mécanique de la réaction, à suspendre la réponse. Mais cela n'est possible qu'à celui qui a longtemps observé le mécanisme, fouillé les déterminations et les conditionnements, acceptant de passer par cette inévitable humiliation, cette humilité de la connaissance. Cela ne va pas sans une sorte de vertige, de dépaysement mental, lorsque nous expérimentons que nos images ne sont que des images, que nous avons vécu dans une sorte de brouillard, prenant l'image pour la réalité, décidément sourds et aveugles, nomades hallucinés d'une cause inexistante.

A ce moment là s'ouvre béante la fente originaire du réel : indicible angoisse et première liberté. Décidément la vie, la vraie, est de l'autre côté, hors représentation.

Bouddha nous enseigne que le samsâra est notre état ordinaire : souffrance, et comme réponse à la souffrance, les constructions mentales, et la répétition indéfinie selon la loi du karma (l'action). Notre tâche est d'examiner scientifiquement cette mécanique pour nous en déprendre. La chose est possible, autant que nécessaire. C'est la Bonne nouvelle, dont les Quatre Vérités Nobles sont la formulation théorique.

 

Publicité
Publicité
Commentaires
J
Le fantasme de masse risque de faire très peur, et s'il vient d'une autre nation ou d'une autre ethnie, nous sommes incapables d'en cerner les contours. Par exemple le totalitarisme et la banalisation du mal d'on nous parle Hannah Arendt.<br /> <br /> Celui qui observe de l'extérieur l'absence de penser, comme ce fut le cas pour Eichmann et sa solution finale, un véritable cauchemar s'installe et le monde entier se tait.<br /> <br /> Ce fantasme du mal subsiste longtemps dans les mémoires, même de ceux qui n'étaient pas encore nés. A croire que nous sommes incapables d'oublier comme de pardonner la folie humaine...
Répondre
G
Le fantasme est à la fois singulier et collectif, car s'il est la construction personnelle d'un sujet, celui-ci est relié à d'autres, si bien que les fantasmes s'entrecroisent et s'enroulent les uns aux autres comme du lierre. On le voit bien dans les couples et les familles.<br /> <br /> Au niveau de la société globale la chose est plus difficile à cerner : qui repérera des fantasmes collectifs s'ils sont communs aux observés et aux observateurs? C'est tout le problème de l'ethnologie. C'est peut être plus facile à un homme élevé dans une autre culture. Cette question mérite un approfondissement.
Répondre
J
Nos rêves nous entraînent toutes les nuits dans les fantasmes parfois basés sur un souvenir agréable ou pas, Mais très souvent, il s'agit de désirs inavouables et irréalisables... Ces fantasmes restent parfois derrière nous pour guetter nos moindre faits et gestes, des fois qu'ils seraient victorieux... Le croyant se sentira donc poursuivit par le diable, avec sa fourche, afin de nous harceler si nous ne réalisons pas ce fantasme éhonté et inavouable.<br /> <br /> <br /> <br /> Je ne suis qu'un homme, et ne veux pas entrer dans les fantasmes féminins qui n'ont rien à voir avec les hommes en général et moi en particulier. Très souvent, le fantasme d'un homme se situe dans sa libido, il désire telle ou telle personne. Dans la rue, il se permet de suivre une dame à son goût en pensant à certaines faveurs inavouables. Avec son air complètement abruti, il pose son regard sur les postérieurs féminins qu'il rencontre. S'il s'intéresse au côté face d'une femme, ses yeux tombent dans l'échancrure du corsage d'une femme qui est peut-être une mère de famille ou toute poitrine qui peut le ramener au souvenir du sein maternelle...<br /> <br /> <br /> <br /> Le fantasme a aussi son côté inutile, impensable mais inutile. Car, s'il se réalise, il disparaît et il faut chercher à rêver d'un nouveau fantasme. Donc, il y a un mouvement perpétuel qui ne s'arrêtera jamais et rendra le "fantasmeur", comme malade de son inconscient et incapable d'assumer les profondeurs de son Moi intérieur.<br /> <br /> Il faut donc penser que le fantasme est dangereux et parfaitement inutile, puisque concrètement, il ne peut nous conduire qu'à une frustration d'une partie de notre existence. Chaque matin à son réveil, il faut se dire dire : "A quoi bon !" et, le fantasme de la nuit passée disparaîtra comme il est venu ; venu très souvent à l'insu des rêveurs que nous sommes tous.<br /> <br /> <br /> <br /> S'il y a un fantasme à réaliser, c'est l'hapax, le eurêka idéal. Il arrive même en pleine journée, il est donc tellement concret, qu'on le malaxe en tous sens et au bout du compte, nous nous apercevons qu'il a toutes les chances de nous rendre meilleur, d'être utile et surtout, plus valorisant. La transcendance vers le bonheur...<br /> <br /> Montaigne a dit que la marche est un bon moyen d'entrer dans nos pensées, afin de nous améliorer un peu plus chaque jour. afin de mieux nous projeter vers autrui. Mais pas dans des pensées libidineuses ! Cercle vicieux et parfaitement nuisible à l'être humain. Notre but est le bonheur et je vois et ne comprends pas très bien la nécessité du fantasme d'une imagination tellement débordante, qu'elle risque de nous rendre seulement un peu plus malheureux chaque jour. Ce qui nous fait sortir de tout projet nécessairement philosophique.<br /> <br /> <br /> <br /> Je regarde la femme sur laquelle, certains fantasment d'une façon différente, c'est-à-dire observer son élégance, ses yeux pour lui faire comprendre que je ne lui suis pas hostile et le sourire respectueux qui peut conduire à un agréable bavardage, jusqu'au coin de la prochaine rue ! Ça c'est un pur enrichissement de l'âme humaine !<br /> <br /> Après ma spontanéité habituelle, Je vais ouvrir un livre consacré à la psychologie, pour me vérifier et me corriger. Apprendre les profondeurs du fantasme...<br /> <br /> <br /> <br /> Amis lecteurs, donnez votre avis, apportez votre avis à Monsieur Karl pour avoir proposé ce sujet et ainsi je ne serai pas le seul à avoir dit quelque chose...
Répondre
D
Très intéressant, le fantasme serait une sorte d'irréductible machinerie inconsciente et singulière nous tenant à l'écart de la réalité. Mais qu'en est-il du fantasme collectif qui ne relève plus seulement d'une "animalerie idiosyncrasique" mais d'une structure dans laquelle peut-être des fantasmes singuliers coïncideraient avec des archétypes sociaux ?
Répondre
Newsletter
153 abonnés
Publicité
Derniers commentaires
Publicité