Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
Archives
Visiteurs
Depuis la création 1 056 491
16 novembre 2012

Des QUATRE CHAMPS d' OBSERVATION : BOUDDHA

 

 

 

 

"Observer le corps dans le corps". Qu'est-ce à dire? Non pas observer le corps du dehors, comme on fait généralement dans la perception spontanée, ou dans les sciences biologiques et médicales. C'est quitter le champ de la représentation, les images du corps, les valeurs ajoutées, les opinions sociales et personnelles, abolir les idées toutes faites, se déprendre, déplacer l'attention vers le dedans, se mettre à l'écoute de la sensation : sensation globale du corps sentant-senti, accueil de la pesanteur et de la légèreté, du chaud et du froid, de la position, de l'espace, du volume, des impressions telles qu'elles se présentent. Etablir cette attention au corps propre en se mettant à l'écoute de la respiration, sans chercher à la modifier, la laissant se développer naturellemnt, envelopper progressivement le corps entier dans une sensation globale de détente : accueil du corps, sans jugement, sans intention particulière, être là, simplement et résolument là, présent au présent de son corps.

"Observer les sensations du corps dans le corps". Nous voilà bien dans le corps, la conscience est immergée dans l'espace-temps corporel, et dans cette dimension sensitive globale se produisent immanquablement des sensations localisées, tensions musculaires, impressions fugitives ou tenaces, titillements, pincements, chaleur, irritations, agréments et désagréments : le plaisant côtoie le déplaisant, tantôt ici, tantôt là, et nous voici les témoins étonnés d'un étrange caroussel : ce corps dont nous avons d'habitude une maîtrise relative semble pris de folie, "faisant le cheval échappé", irritant, insolite, débordant de toutes parts, comme si les limites ordinaires se distendaient, et qu'un malin génie s'amusait à défier le contrôle, à faire déraper la conscience vers une sorte de délire sensoriel. C'est ainsi que les choses se présentent dans les premiers temps, dans un affolement confinant à l'angoisse. Nous sommes déboussolés par l'irrationalité du corps, réduits à constater que nous ne savons rien du corps, que notre propre maison est un capharnaüm habité par des sorcières. Quelle humiliation! Mais à persévérer nous tirerons une remarquable leçon de cette expérience : le corps n'est pas une substance fixe, une réalité connue, un être constant et permanent, mais une sorte de flux sensoriel, un continuum sensoriel-perceptif, où rien n'est vraiment stable et prévisible : le Fleuve d'Héraclite n'est pas seulement une belle image du monde, il est en nous, dans notre corps, il est le corps. Bien entendu, quand nous quittons la méditation pour revenir à la conscience ordinaire les choses se stabilisent à nouveau, l'illusion de permanence corporelle se rétablit, à croire que précedemment nous avons rêvé. Mais la prochaine méditation nous reverra à la même expérience de désaisissement, et de séance en séance nous nous familiariserons avec cette vérité de l'impermanence et de l'écoulement corporel.

"Observer l'esprit dans l'esprit". Entrer dans ce nouvel espace de l'esprit suppose la même capacité de déprise initiale : ne plus penser selon les catégories ordinaires, ne pas se laisser aller aux opinions, aux préoccupations mondaines ou intimes, ne pas réver, ne pas réfléchir, ne pas calculer ou philosopher, mais se recentrer résolument sur l'ici et maintenant, laisser les pensées se décanter, au fil de la respiration, et si telle idée apparaît, telle représentation de désir ou d'aversion, revenir au souffle, se détendre, revenir posément à l'attention, au moment présent. A vrai dire il me semble que cette observation de l'esprit dans l'esprit est plus difficile que l'observation du corps. Aussi faut-il rétablir l'observation du corps si l'esprit est décidément trop indocile, trop pusillanime : rétablir le calme, recommencer le processus depuis le début, et par degrés gagner en élasticité, en souplesse, en finesse.

"Observer les contenus de l'esprit dans l'esprit" : une fois l'esprit pacifié, comme pour le corps, il devient possible d'accueillir  les processus mentaux, tels qu'ils se déroulent. Et là, quelle pagaiile! Les Orientaux disaient : l'esprit est comme un singe qui saute de branche en branche, incapable de se rasseoir un instant, de se calmer, de se poser! Notre esprit est une foire d'empoigne, un embrouillamini, une débauche, une débâcle. A tel point qu'on est tenté, sur le champ, de tout interrompre pour revenir à l'ordinaire où nous avons du moins le sentiment (trompeur) d'une certaine continuité et cohérence, où nous nous flattons de dominer nos affects et nos pensées. Désirs, craintes, espoirs, souvenirs, images, représentations, idées, volitions, ennui, exaspération, le tout mêlé aux sensations corporelles dans un mélange confus et incompréhensible, avec en plus cette découverte que les idées viennent sans qu'on les appelle, et disparaissent à leur gré, voilà de quoi déboussoler, de quoi irriter, de quoi décourager le débutant. Mais il faut continuer : au delà de l'humiliation narcissique se profile une singulièrte vérité. Nous ne sommes pas maîtres dans notre maison, ni dans le corps ni dans l'esprit, l'idée que nos faisons de nous-mêmes est intenable, l'idée même de subjectivité devient singulièrement problématique.

Ainsi nous vérifions que ni le corps ni l'esprit, ni leur union n'ont de permanence : ce que nous appelons le moi est un composé fluent de processus physiques, chimiques, électriques, atomiques, subatomiques, de sensations, de perceptions, d'images, de constructions mentales, d'émotions, de pensées, de représentations hétéroclites, venues de la tradition, de la culture, de l'opinion, de l'héritage, de nos propres expériences passées. "Un grand monceau de dukkha" (Bouddha : Maha-Dukkhakkanda-Sutta). Dukkha, c'est la souffrance de l'insatisfaction. Et comment ne pas être insatisfait de cette bouillie mentale que nous appelons notre esprit, source de tant de misères individuelles et sociales, de la haine et de la guerre, de la rivalité universelle, de la concupiscence et de la méchanceté, de la jalousie et autres passions mortifères. On dira que le monde n'est pas que mauvais, que l'on y trouve aussi l'amour et la compassion. Sans doute, mais l'état présent du monde a de quoi nous inquiéter.

La méditation devrait nous permettre de vérifier par nous-mêmes les trois vérités fondamentales de Bouddha : l'impermanence de tous les états composés, l'insatisfaction engendrée par l'impermanence, l'absence de toute substance fixe, stable au coeur de tous les processus, physiques et mentaux. La découverte, en nous, de cette insatisfaction devrait nous inciter à l'expérimenter, à l'observer, à la contempler longuement et complètement, au point de provoquer une sorte de révolution de la conscience : cela ne peut pas continuer ainsi. Hélas, cela continue! Disons plutôt : cela ne doit pas continuer ainsi. A défaut de changer le monde changeons notre propre monde.

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Newsletter
153 abonnés
Publicité
Derniers commentaires
Publicité