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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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14 août 2012

De l 'ETRE selon HEIDEGGER (2)

 

 

 

 

 

 

« Esti gar einai » : car il y a de l’être ; ou : car être est  - et ne peut pas ne pas être. Cette formule de Parménide résonne  comme une énigme du fond de notre Antiquité, et donne indéfiniment à moudre et à gloser. Mais, dans la perspective ouverte par Heidegger on peut entendre par être soit l’être de l’étant, soit l’Etre comme tel. J’avoue, en mes années d’apprentissage, avoir manqué de jugement et cru qu’il s’agissait tout bonnement de l’étant, et je m’insurgeais contre le tableau de l’étant que brosse Parménide dans la suite du texte : concevoir l’étant comme immobile, immuable, sans naissance ni destruction, tout, un, continu, parfait en sa sphéricité solaire. Cela est évidemment en contradiction avec l’expérience sensible, et avec la mobilité des idées et des représentations. Mais Parménide ne peut logiquement parler de cet étant-là, et nous exhorte à une élévation de pensée qui englobe l’étant en entier, le saisisse au-delà de la perception sensible dans une contemplation d’éternité. On pourrait dire peut-être : ce tableau de l’étant n’est pas l’image de la diversité infinie des étants juxtaposés ( ta eonta) mais « l’être de l’étant »,  to on, l’assomption et le dépassement de toutes les particularités dans l’action unitive et intuitive de la pensée : une noèsis synthétique, englobante, unifiante et totalisante, si l’on veut bien me pardonner ce jargon rebutant.  Par de là le multiple et ses pompes la pensée opère une vision sublime de la totalité sphérique, posant l’être de l’étant comme perfection immobile et immuable. Pourquoi cela ? Parce que l’être de l’étant ne peut naître de rien, et ne peut diminuer ou cesser d’être, entraînant le tout dans le néant. D’où la formule de Parménide : ou l’être est, ou il n’est pas. Mais il ne peut pas ne pas être, sans quoi on bascule dans une absurdité sans remède, contre l’évidence qui nous fait constater à chaque seconde qu’il y a bien quelque chose, pour nous, qui, en quelque manière, sommes.

De la sorte on aurait trois plans successifs. D’abord le multiple changeant, divers, mobile des « eonta », des existants de toute sorte, planètes, soleils, végétaux, animaux, humains etc . Les Chinois disent : les dix mille êtres. Pour Parménide cette réalité sensible existe mais ne suscite guère son interrogation. Il vise le second plan : l’étant dans sa totalité (to on) qu’il saisit, comme on l’ a vu dans une synthèse ascensionnelle, dégageant de la sorte la vision intellective de l’être de l’étant : nécessairement éternel, immuable et parfait en son genre. D’où l’image du Sphaïros qui hantera longtemps l’imaginaire hellénique.

Reste le troisième plan, dont Heidegger déplore l’absence, l’ « Oubli » : la question de l’Etre en tant qu’Etre.  Jusqu’à quel point est-il légitime de distinguer l’être de l’étant de l’être comme tel ? S’agit-il de deux réalités distinctes ? Ou bien notre distinction s’épuise-t-elle comme de l’eau dans le sable ?

L’être de l’étant, tel que le pose Parménide, est une des figures historiales développées par l’Occident. C’est l’être de l’étant posé et pensé par les Grecs, dont la sphère est le symbole par excellence. Le Christianisme développera une nouvelle image, posera une autre conception de l’être de l’étant dont le Dieu Créateur est la clef de voûte. Et la modernité la renversera au profit d’une conception rationaliste d’expansion et de maîtrise du monde. Descartes : « devenir comme maîtres et possesseurs de la nature ».

Et l’on pourrait également décrire l’être de l’étant selon les philosophes taoïstes : une autre image de la nature, une autre place de l’homme dans l’univers, une autre temporalité, d’autres valeurs.

Il apparaît dès lors que l’être de l’étant est une production de la métaphysique universelle, à chaque fois originale, toujours vraie dans le moment historial où elle se construit et se développe, et toujours destinée à vieillir et à mourir. L’histoire humaine pourra se décliner comme une suite plus ou moins harmonique, avec des ruptures et des révolutions, comme une manifestation de l’être, mais aussi comme un oubli de l’être. L’être de l’étant est une représentation, et en tant que telle manque nécessairement, mais à des degrés divers, le dire de l’être.

Mais alors qu’en est-il de l’être en tant qu’être ? Est-il même possible d’en dire quelque chose, si tout acte de parole est engagé dans la facticité et le semblant. Un dire vrai est-il seulement concevable ?

La seule certitude invincible c’est : « il y a » : esti gar einai. Cela je ne peux le renverser sans sombrer dans le délire. Parménide met en garde : ne prends pas ce chemin des insensés, on dira aujourd’hui des nihilistes qui soutiennent sans sourciller qu’il  n’y a rien.  Mais cet « esti gar einai » est une pure et définitive tautologie. On pourrait tout aussi bien se contenter d’un « einai », être. Dire « l’Etre est » c’est déjà trop dire, de même que dire A égale A.  Si A égale A c’est qu’il y a deux A, donc A n’est plus A. Et nous voilà hors du champ de l’Etre en tant qu’Etre. Heidegger a raison de soutenir que la logique n’est pas à même de nous mener à l’intuition de l’Etre. Seuls, penseurs et poètes nous désignent un chemin, non une définition, ni une recette de savoir, comme le dieu de Delphes qui ne montre ni ne cache mais fait signe.

Nouvelle question : mais à quoi bon poser la question de l’Etre si aucun savoir ne peut le saisir ni le réduire ? Je réponds – en mon nom propre : cette distinction est de la plus haute importance en ce qu’elle doit nous délivrer de la prétention de savoir, donc de pouvoir, qu’elle est le nécessaire antidote à la folie moderne d’arraisonnement de l’étant, l’envers tragique et poétique de l’humanité, le refuge d’un sacré qui n’a plus rien de religieux, ni même de mystique, l’abri d’une intériorité méditative qui se rapporte au tout, par delà toutes les formes visibles et invisibles, le jardin de l’âme sentante et pensante, l’interface sensible du dedans et du dehors, le rapport indicible du microcosme et du macrocosme, « l’infini au creux de la main ».

On l’aura compris : je n’en ai pas fini avec Heidegger, non que je le suive avec aisance, loin de là, ni qu’il me convainque toujours, mais j’y  trouve des fulgurations qui m’enchantent, et de ci de là, des éclairs, des incendies, comme dans la plus haute poésie des Grecs et de Hölderlin.

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