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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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15 août 2012

De l' EXPERIENCE de l' ETRE : HEIDEGGER (3)

 

 

 

 

 

Nous sommes inévitablement immergés dans la présence omni-englobante de l’étant. Tout un chacun s’affaire, se préoccupe, pense, agit dans la sphère commune, déterminée par les représentations communes, dans l’espace mental de notre modernité. Cet agir est perçu comme légitime, voire nécessaire selon les valeurs en usage. Mais c’est aussi une forme subtile d’aliénation : on prend pour vrai ce qui est posé comme tel par la communauté sans s’inquiéter outre mesure des fondements, des raisons, de la provenance et de la finalité. Avec des variantes c’est toujours le Même, qui de jour en jour commande quasi mécaniquement notre destinée singulière, dont nous soupçonnons rarement qu’elle n’est qu’une pauvre variation sur le clavier de l’anonymat universel. Plus nous prétendons à la singularité plus nous nous conformons de fait à l’idéal commun. Cela, nous ne voulons pas le savoir, mais à de certains moments, c’est comme un vertige qui nous saisit : quelle est donc cette existence que nous menons-là, est-ce bien nous d’abord qui la menons, ou bien ne sommes pas plutôt menés comme des andouilles par  une secrète et invisible force extérieure, d’autant plus puissante qu’elle est partout et nulle part ?

Heidegger disait : dictature du On, déréliction dans l’étant. Chosification de l’humain dans le monde inerte des choses.

Mais alors, avons-nous quelque rapport possible à l’Etre ? Pouvons-nous, ne serait-ce qu’à de rares moments, soulever le voile ?

Dans « Qu’est-ce que la métaphysique » Heidegger décrit trois modalités de cette expérience possible : l’angoisse, l’ennui, et l’étonnement. Ce sont trois moments féconds, que chacun peut expérimenter. Dans l’angoisse le monde de l’étant vacille, les certitudes s’effondrent, on vit comme un glissement catastrophique vers le néant, une destructuration générale qui ouvre brutalement sur ce vide interne, où, paradoxalement, se fait jour une apperception de l’être pur, sans détermination, fond sans fond, révélation sans contenu, mais irrécusable. Lorsque l’ennui s’approfondit jusque dans les arcanes les plus profondes de la subjectivité apparente se produit l’expérience du temps pur, temps sans consistance autre que d’être le temps, l’irréversible en marche. Quant à l’étonnement, dans sa dimension métaphysique, c’est peut-être l’expérience la plus riche et la plus radicale : quelles que soient les images et les perceptions du monde, sous l’apparence rassurante des choses en leur cours régulier, soudain s’ouvre un gouffre : sous ces images, existe-t-il quelque chose, dont je ne sais rien, que je comprends pas, mais, je ne puis en douter plus longtemps, il y a de l’être, cela est de quelque manière, de toute manière : il y a.

Je ne suis pas sûr, ici, d’avoir rendu fidèlement la pensée de l’auteur, j’en rends compte à ma manière, et c’est aussi une manière de m’approprier cette pensée. De ces trois modalités, l’angoisse, l’ennui et l’étonnement, seule la troisième me semble vraiment convaincante. Les deux autres sont trop souvent déterminées par la pathologie et ne délivrent rien de sûr. L’angoisse peut aussi bien entraîner la destitution de la pensée, dans un cataclysme sans issue. Et l’ennui ouvre la route au nihilisme, tel cet auteur (Théophile Gautier je crois) qui déclarait au soir de sa vie : il n’y a rien, rien n’ a jamais été, il n’ y aura jamais rien ! Dans l’étonnement je crois trouver une disposition de réelle ouverture, sans pathos exagéré, qui stimule l’intelligence et l’ouvre à des perspectives extra-ordinaires. Selon moi c’est Schopenhauer qui en parle le mieux.

 

Je ne sais si l’étonnement est vraiment une expérience de l’Etre. Je pense plutôt, selon ma propre expérience, qu’il est ce suspens sans concept devant l’énigme, ce moment d’aporie, de non-savoir, de vertige face à l’innommable, cette déroute du moi devant l’Immense – à entendre comme le « sans-mesure ». Parler d’Etre c’est, me semble-t-il, aller trop vite en besogne, forcer le fait, injecter violemment une catégorie inutile et controuvée. Pourquoi parler d’Etre ? Pourquoi ce terme surdéterminé, cette antique dépouille qui charrie deux mille ans d‘idéologie idéaliste, de chimères platonico-chrétiennes ? Pourquoi ce monstre « monotonothéiste » ? Cette enflure creuse et pleine de vent ? Ce chancre nauséabond, cette enflure pouilleuse et racornie ?  Pourquoi ces relents de catéchisme, ces miasmes putrides de séminaire allemand ?

Bref, j’en reviens à Montaigne : « nous n’avons aucune communication à l’être ».

Pour faire bonne mesure je dirai de cette opération de passe-passe ce que Nietzsche faisait remarquer au sujet du cogito de Descartes. Vous dites : je doute, je pense, je suis. Mais d’où tirez-vous que la perception d’une pensée vous autorise à conclure à l’existence d’un « je ». Il faudrait dire : cela pense, car vous vous n’avez  rien établi de plus. Tout ce que vous rajoutez c’est de l’idéologie. De même je dirai pour Heidegger : vous décrivez fort justement une expérience du dessaisissement, et soudain vous tirez l’Etre de votre chapeau de magicien ! Prestigititateur souabe !

Que cela est dommageable ! Je voudrais une philosophie qui sache sursoir à conclure. S’arrêter au bon moment. Respecter la loi du Kaïros. Enseigner une sage abstinence. Pratiquer l’aphasie critique. Se taire, et dans le vaste monde, dans l’Immense incommensurable, chevaucher le vent.

 

 

 

 

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Commentaires
A
Personnellement je laisse le vent me chevaucher et je communique avec l'être!!!
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