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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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20 mars 2011

EMPEDOCLE (1) - INITIATEUR de l'ECOLOGIE ?

Philosophe tragique, contemporain des grandes tragédies attiques, Empédocle nous donne un tableau saisissant de la condition humaine :

"J'ai pleuré et j'ai sangloté à la vue de cet endroit insolite.

De quels grands honneurs, de quelle profonde félicité j'ai été éxilé!

"Nous sommes arrivés dans cette caverne couverte"

Terre sans joie

Où la Mort et la Haine et les autres génies de la Mort

Et les maladies qui ravagent et les putréfactions et les oeuvres de dissolution

Errent sur la prairie du Malheur, dans les ténèbres". (fragments 118 à 121 des "Purifications")

     On parlera d'un pessimisme d'Empédocle. Je penche plutôt pour la tragédie : s'il est une libération possible ce n'est que par un changement radical de pensée et de conduite dans un univers dépourvu de sens et de finalité. Le cycle de la vie et de la mort est sans commencement ni terme, la lutte de l'Amour et de la Haine est éternelle, l'univers sera éternellement, inexorablement ce qu'il est aujourd'hui, les formes naissent et meurent dans l'infini du Temps, les choses seules existent, "courant les unes à travers les autres/ Elles deviennent des choses différentes en des temps différents et demeurent perpétuellement les mêmes" ("De la nature" Fr 17)

Noius sommes à mille lieues d'une religon du salut, d'une promesse de redemption, d'une théophanie. Le seul, le vrai dieu, c'est l'univers lui-même, tantôt Sphaïros "joyeux dans sa révolutuion solitaire", tantôt tourbilon disséminé, dispersé par la "Haine cruelle", mais toujours renaissant, selon le cycle imtemporel de la contraction et de la dispersion, de l'unité et de la multiplicité. Tout naît, rien ne naît, tout meurt, rien ne meurt. Et si l'homme peut espérer quelque libération, s'il peut aspirer à boire à "la table des autres immortels" ce n'est que par métaphore, s'il est clair que les dieux partagent le sort de l'éternel manège. S'il est une divination de l'homme ce n'est qu'à titre symbolique : s'il faut renaître et mourir éternellement il est éthiquement souhaitable de vivre, de mourir et de renaître dans la conscience de l'éternité. Devenir comme un dieu, c'est s'élever à la conscience cosmique, s'identifier par la pensée à ce qui est et sera éternellement : les éléments fondamentaux, les principes (l'Amour et la Haine), et le Sphaïros enfin, seul dieu dans la plénitude du terme.

Ce sentiment tragique inspire à Empédocle une immense sympathie - participation émotionnelle et intellectuelle, compassion active - pour tous les êtres sensibles. Il voit la douleur du monde, il ressent dans son coeur et son sang la tribulation mortelle, la peur et la haine, le plaisir et la douleur, la faim et la satiété, il se revit lui-même à travers les cycles de la réincarnation, expiant quelque crime de sang, désirant la délivrance et le repos. Et partout le spectacle de la guerre, et il s'écrie, dans l'effroi et l'horreur : "Ne cesserez-vous pas, enfin, ce carnage au bruit sinistre?" Massacre des animaux tout aussi bien, sacrifés sur les autels sanglants et fumants, au même titre que le sacrifice d'Iphigénie, de la main de son propre père Agamemnon, qui, en l'immolant par ambition coupable, ignore qu'il s'immole  lui-même dans sa fille? Car tous les vivants forment une seule et unique chaîne de vie, végétaux, animaux, hommes et dieux, immortels, tous emportés, affolés et hagards, dans le fleuve universel. Unité de la vie, unité des êtres sensibles, fraternité essentielle de tout ce qui naït, meurt et renaît dans les figures bigarrées de la dissemblance, mais de même facture, dans le principe, de même destin.

Ce vitalisme tragique devrait nous interpeller, quand nous sommes incapables de fonder une Cité  pacifique, de nous abstenir du meurtre et du saccage. Empédocle médecin, thérapeute, ingénieur, législateur, homme de bien, démocrate, philosophe de la nature, et quoi encore? Cet homme extraordinaire a conçu une immense synthèse sur la base d'une vision holistique et tragique du Tout, il a lutté sans relâche pour réveiller les consciences, révélé la profonde  unité de tout ce qui vit, jeté les bases d'une philosophie positive, rationnelle et scientifique pour élever les hommes à la hauteur d'une politique et d'une éthique universalistes.

L'écologie est une pensée du Tout, ou elle n'est pas. C'est la leçon des Grecs. Il faut nous réapproprier nos propres fondamentaux, que nous avons  lamentablement négligés. A cette tâche je veux me consacrer.

Ecologie : bâtir une maison universelle, une paix universelle, précaire mais nécessaire, sous le soleil d'Apollon, avec ce savoir tragique de la précarité humaine dans l' indifférence de l'univers.

 

 

 

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Commentaires
D
Karlium parle d'"un fossé entre nos vies et nos pensées". Mais la pensée est aussi une expression de la vie, une de ces étranges créations. Si la vie est définitivement tragique, ce que je crois, charge pour la pensée de reconnaître dans une féconde intuition la force universelle du tragique. Alors, débute une première et décisive réconciliation qui n'est pas sans produire quelqu'effet dans la pratique et l'action. La pensée n'est pas "un empire dans un empire" (Spinoza), pas plus qu'un corps ne vit sous cloche et sans rapport au monde. De ces interactions éclairées, sur fond de tragique, naît la possibilité éthique et l'exploration esthétique.
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G
Tu parles du poison des mots et de la pensée. Mais le grec est ici éclairant : le pharmakon désigne à la fois le remède (médical) et le poison : féconde et tragique équivoque de la langue qui exprime parfaitement l'ambiguité de notre rapport au monde.
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K
Quel peut être le pouvoir des mots sur autrui ? le pouvoir d'une pensée ? Malgré tous ces penseurs qui ont su illuminer un petit coin de leur époque, que reste-t-il de cela dans notre monde et quel est à notre tour notre pouvoir sur le monde par les mots ? Les mots séduisent ceux qui le sont déjà par eux, et indiffèrent (néologisme qui est beau dans ma phrase et uniquement à ce temps et avec cette personne !) les autres... et pourtant ils sont là, toujours vivants à qui sait les lire, les enluminer avec les coloris du réel. Que de penseurs ont jalonné nos civilisations de façon brillante, anodine... Quand on voit le fossé entre nos vies et nos pensées ! Cela donne à la fois le vertige et du prix à la pensée, ce poison qui filtre le réel, le conditionne ; <br /> Est-ce que tout cela a un rapport avec le texte de départ ? Hors-sujet ?... Qu'importe !<br /> Gorlium and 'NK
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