EMPEDOCLE (1) - INITIATEUR de l'ECOLOGIE ?
Philosophe tragique, contemporain des grandes tragédies attiques, Empédocle nous donne un tableau saisissant de la condition humaine :
"J'ai pleuré et j'ai sangloté à la vue de cet endroit insolite.
De quels grands honneurs, de quelle profonde félicité j'ai été éxilé!
"Nous sommes arrivés dans cette caverne couverte"
Terre sans joie
Où la Mort et la Haine et les autres génies de la Mort
Et les maladies qui ravagent et les putréfactions et les oeuvres de dissolution
Errent sur la prairie du Malheur, dans les ténèbres". (fragments 118 à 121 des "Purifications")
On parlera d'un pessimisme d'Empédocle. Je penche plutôt pour la tragédie : s'il est une libération possible ce n'est que par un changement radical de pensée et de conduite dans un univers dépourvu de sens et de finalité. Le cycle de la vie et de la mort est sans commencement ni terme, la lutte de l'Amour et de la Haine est éternelle, l'univers sera éternellement, inexorablement ce qu'il est aujourd'hui, les formes naissent et meurent dans l'infini du Temps, les choses seules existent, "courant les unes à travers les autres/ Elles deviennent des choses différentes en des temps différents et demeurent perpétuellement les mêmes" ("De la nature" Fr 17)
Noius sommes à mille lieues d'une religon du salut, d'une promesse de redemption, d'une théophanie. Le seul, le vrai dieu, c'est l'univers lui-même, tantôt Sphaïros "joyeux dans sa révolutuion solitaire", tantôt tourbilon disséminé, dispersé par la "Haine cruelle", mais toujours renaissant, selon le cycle imtemporel de la contraction et de la dispersion, de l'unité et de la multiplicité. Tout naît, rien ne naît, tout meurt, rien ne meurt. Et si l'homme peut espérer quelque libération, s'il peut aspirer à boire à "la table des autres immortels" ce n'est que par métaphore, s'il est clair que les dieux partagent le sort de l'éternel manège. S'il est une divination de l'homme ce n'est qu'à titre symbolique : s'il faut renaître et mourir éternellement il est éthiquement souhaitable de vivre, de mourir et de renaître dans la conscience de l'éternité. Devenir comme un dieu, c'est s'élever à la conscience cosmique, s'identifier par la pensée à ce qui est et sera éternellement : les éléments fondamentaux, les principes (l'Amour et la Haine), et le Sphaïros enfin, seul dieu dans la plénitude du terme.
Ce sentiment tragique inspire à Empédocle une immense sympathie - participation émotionnelle et intellectuelle, compassion active - pour tous les êtres sensibles. Il voit la douleur du monde, il ressent dans son coeur et son sang la tribulation mortelle, la peur et la haine, le plaisir et la douleur, la faim et la satiété, il se revit lui-même à travers les cycles de la réincarnation, expiant quelque crime de sang, désirant la délivrance et le repos. Et partout le spectacle de la guerre, et il s'écrie, dans l'effroi et l'horreur : "Ne cesserez-vous pas, enfin, ce carnage au bruit sinistre?" Massacre des animaux tout aussi bien, sacrifés sur les autels sanglants et fumants, au même titre que le sacrifice d'Iphigénie, de la main de son propre père Agamemnon, qui, en l'immolant par ambition coupable, ignore qu'il s'immole lui-même dans sa fille? Car tous les vivants forment une seule et unique chaîne de vie, végétaux, animaux, hommes et dieux, immortels, tous emportés, affolés et hagards, dans le fleuve universel. Unité de la vie, unité des êtres sensibles, fraternité essentielle de tout ce qui naït, meurt et renaît dans les figures bigarrées de la dissemblance, mais de même facture, dans le principe, de même destin.
Ce vitalisme tragique devrait nous interpeller, quand nous sommes incapables de fonder une Cité pacifique, de nous abstenir du meurtre et du saccage. Empédocle médecin, thérapeute, ingénieur, législateur, homme de bien, démocrate, philosophe de la nature, et quoi encore? Cet homme extraordinaire a conçu une immense synthèse sur la base d'une vision holistique et tragique du Tout, il a lutté sans relâche pour réveiller les consciences, révélé la profonde unité de tout ce qui vit, jeté les bases d'une philosophie positive, rationnelle et scientifique pour élever les hommes à la hauteur d'une politique et d'une éthique universalistes.
L'écologie est une pensée du Tout, ou elle n'est pas. C'est la leçon des Grecs. Il faut nous réapproprier nos propres fondamentaux, que nous avons lamentablement négligés. A cette tâche je veux me consacrer.
Ecologie : bâtir une maison universelle, une paix universelle, précaire mais nécessaire, sous le soleil d'Apollon, avec ce savoir tragique de la précarité humaine dans l' indifférence de l'univers.