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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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7 février 2011

Du NON-SAVOIR : TETRALOGIKON

"Que sais-je?" se demande Montaigne. Il conclura qu'il ne sait pas grand chose, contestant même de savoir qu'il sait ou qu'il ne sait pas. Position authentiquement pyrrhonienne, qui lui vaudra les foudres de Pascal. Ce qui m'intéresse dans cette aporie montanienne c'est la question si justement posée, et son actualité récurrente, en notre époque surtout qui se flatte tant de savoir sur toutes sortes d'objets, quand l'essentiel nous échappe et nous navre. La science, qui nous a tant promis, ne nous éclaire guère sur notre position, notamment planétaire, et nous abandonne quand nous voulons sonder les fondements de notre condition. Sur ce point nous ne sommes guère plus avancés qu'à l'époque de Montaigne. J'en conclus quant à moi que la philosophie seule est en charge de nous éclairer, si elle peut.

J'honore les savoirs de toute nature, mais je n'en attends pas grand chose. Jeune, on m'a expliqué avec force persuasion et arguments que je devais plus que tout apprendre les mathématiques. De fait je ne m'en suis jamais, oh grand jamais, servi en aucune manière. Il suffit, en toute rigueur, de savoir compter jusqu'à trois. Le reste est affaire de spécialité scientifique ou technique. Il en va de même des autres savoirs, fort honorables en soi, mais d'une parfaite inutilité pour la conduite de la vie.

Le savoir utile se résume à quelques propositions simples : la naissance entraîne la corrution et la mort ; il n'est pas possible d'être en deux endroits à la fois, ni en deux moments du temps ; la pensée est en liaison avec le corps et le thymos ; l'homme est un être sexué ; il est un animal comme les autres, mais avec des capacités de symbolisation plus efficaces ; son existence est largement conditionnée par les données de la nature environnante ; il est capable d'éducation et de culture mais aussi bien de monstruosité ; "animal sapiens demens" ; animal de meute par nécessité vitale, il peut, dans certaines conditions favorables, laisser émerger une individualité créatrice qui se distinguera dans le domaine de la pensée ou de l'art ; être de parole, il invente des sytèmes théoriques dont la valeur est indécidable, mais qui exercent une grande influence politique, morale et culturelle. Au total nous vivons sur une mer d'incertitude, entre les rocs du réel et les mâchoires de la vérité.

Ces propositions fondamentales constituent le corpus élémentaire de la vérité. Ce corpus est inchangeable, en dépit de nos aspirations et de nos gérémiades. Il se trouve régulièrement des marchands d'illusion pour nous promettre un futur édenique, mais nous savons un peu mieux ce qu'il en résulte. Prendre acte de ce réel, c'est ce qu'on nomme pompeusement la sagesse, dont les termes, fort simples et connus de tous, font l'objet d'un déni quasi perpétuel. On allonge la vie par la médecine et l'artifice, croyant par là vaincre la mortalité. On se perd dans mille aventures pulsionnelles dans l'espoir de supprimer la finitude de l'individuation. On crée de sublimes systèmes politiques  dans l'idée de vaincre le malheur et l'inégalité, et l'on tombe dans les affres du totalitarisme. On se croit capable de pénétrer les ultimes secrets de la nature dans le temps même on l'on rend la vie sur terre irrespirable, et le reste à l'avenant.

Le savoir est exponentiel. La vérité constante. Le chercheur accumule. "Le sage diminue tous les jours"(Lao-Tseu). Mais tous nos savoirs s'édifient sur un fond inexplicable, et butent sur l'inexplicable. Les savoirs sont des édifices flottant sur la mer de l'inexplicable. Cela n'empêche pas de vivre, mais cela ne rend pas la vie plus facile.

Anaximandre, à l'orée de notre culture, déclare que tout vient et retourne à l'Apeiron, le sans limites, l'indéterminé infondé qui fonde les choses. Nos étudions les choses, croyant saisir le fond. Mais n'ayant pas de fond les choses, à jamais, seront "in-différentes, im-mesurables, in-décidables"(Pyrrhon). C'est ce que Montaigne, le seul, peut-être, dans notre culture moderne, a parfaitement compris.

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Commentaires
G
Merci pour ces questions et ces propositions. La position pyrrhonienne est le scepticisme radical. J' y ai consacré plusieurs articles sur le blog. L'aporie c'est l'embarras pour du manque de ressources pour trancher une question. Ici je parle de Montaigne qui en fait abondant usage. Une actualité recurrente désigne le caractère répétitif d'un phénomène, qui bien que passé ne cesse de revenir. Pour le reste je vous remercie pour vos contributions : le non-savoir ne manque pas d'avenir!
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P
Moi qui n'ai même pas le bacalauréat ( le certif non plus!) je dois reconnaître que je n'ai pas tout compris. Alors en toute humilité, pouvez-vous me dire:<br /> - Ce qu'est une position pyrrhonienne?<br /> - Ce qu'est une aoprie montagnienne?<br /> - Ce qu'est une actualité récurrente?<br /> - Ce qu'est un thymos?<br /> <br /> ° La science n'a pas de promesses. En expliquant nos doutes elle éloigne la frontière de nos incertitudes en ouvrant notre esprit vers d'autres questionnements.<br /> ° la vie est faite d'inconnus, et c'est ce qui la rend belle!<br /> ° Ce n'est pas à la science de sonder les fondements de notre condition, mais à notre âme.<br /> ° La philosophie est l'expression de notre raison, elle nous éclaire sans éblouir les autres.<br /> ° Les mathématique sont si mal enseignées, que les étudiants perdent de vue leurs beautés. N'appréciez-vous pas l'élégance du lemniscate de Bernouilli ou la volupté d'un paraboloïde hyperbolique?<br /> <br /> Et c'est bien cette nature de vie sur cette mer d'incertitude, entre les rocs du réel et les mâchoires de la vérité qui fait la beauté dangereuse de la vie humaine.<br /> Que serait l'homme sans ses incertitudes individuelles et collectives et sans la somme de toutes ses non connaissances?<br /> <br /> Faisons l'éloge du non-savoir! Nous ne savons même pas ce qu'il nous reste à apprendre...<br /> <br /> Je sais que je vous souhaite une belle soirée,<br /> Pierre
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