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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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8 février 2011

POLITIQUE et PHILOSOPHIE : le discours kunique

Cratès le kunique : Lettre à ses disciples : "Il faut vous consacrer à la philosophie et non à la politique. En effet, ce qui enseigne aux hommes à savoir pratiquer la justice vaut mieux que ce qui les oblige à ne pas commettre l'injustice".

La politique c'est le régime de la loi (nomos). On sait que les Kuniques méprisent la loi conventionnelle au nom d'une Loi toute autre, la loi de Zeus. Ils oppposent avec force la vertu de nature (arêtê-physis) à la convention culturelle, qui n'est que passion et fumée. Lorsque le Kunique se laisse aller à la fantaisie il rêve d'une communauté des hommes, non dans le cadre de l'Etat mais dans l'orbe de la planète entière : une seule terre, une seule communauté, cosmopolitisme éthique. Se mêler des affaires courantes est perdre son temps et son énergie pour un résultat nul, puisque le seul but noble est l'excellence de la conduite selon la nature.

La loi politique est négative : son seul mérite - si c'en est un - c'est "d'obliger à ne pas commettre l'injustice". Insistons sur l'"obliger", contrainte légale et juridique. La politique est le domaine de l'"hétéronomie", la loi de l'autre ( du gouvernant) qui m'impose une conduite stéréotypée, ou, pire encore, m'empêche de suivre ma propre nature. Diogène s'était jeté dans un naturalisme échevelé, contestant même les interdits fondamentaux de la culture (cannibalisme, inceste, parricide) au nom d'un ironique ensauvagement universel.  Le divorce est total, ici, entre les deux points de vue : ou la soumission à l'ordre conventionnel, ou la liberté éthique sans entraves, sous le seul gouvernement de Zeus. D'où les innombrables provocations à l'adresse des citoyens rangés, des "normopathes", des hommes de pouvoir, des notables, des juristes, et jusque d'Alexandre le Grand en personne : "Ote-toi de mon soleil!"

Inversement, la philosophie est constamment célébrée comme voie abrupte et directe menant au bonheur. Etrange bonheur en vérité chez l'homme qui vit de l'air du temps, des circonstances, d'eau fraîche et d'olives, dormant dans une jarre, vêtu d'un tribôn crasseux en toute saison, hirsute et miséreux volontaire, aboyant contre les riches, mendiant sa pitance, injuriant, pestant, donnant du bâton, prenant en toutes choses le contrepied de la pratique courante, vociférant, interrogeant, fustigeant, témoin impitoyable des exactions des puissants, exemple vivant d'une liberté nomade et indocile, anticonformiste par vocation, contestataire par principe, universellement a-topique et iconoclaste. Je ne sais ce que deviendrait un tel énergumène dans nos sociétés policées, hypocrites, hygiénistes et légalistes. Ou plutôt, je ne le sais que trop!

Une telle confiance dans la philosophie mérite qu'on s'y arrête. De fait elle tient lieu de tout : fortune, maison, entourage, amitié, religion, savoir et vérité, bref c'est la voie du salut. Et de quoi faut-il se sauver? De l'opinion (doxa) qui soustend les passions de savoir, de pouvoir, de domination, de soumission, de faiblesse, d'incertitude, de lâcheté, de volupté -car le plaisir même, lorsqu'il n'est pas de nature, est un vice. Jusqu'auboutiste éthique, le Kunique ne tolère aucune faiblesse, ni physique ni psychique. Il s'entraîne en athlète, à l'image d'Héraklès son héros, se roulant dans la neige en hiver, portant son double manteau en été sous la chaleur accablante, recherchant l'épreuve comme une chance de se mesurer à l'insupportable, de s'aguérrir de la sorte contre l'adversité et par là d'être à la hauteur de n'importe quelle circonstance, faste ou néfaste. Morale de guerrier, éthique d'athète.

Je confesse mon embarras, moi qui hésite, à  rappeler ces faits, entre l'admiration et le rire. J'admire, mais je ne puis suivre. Mon tempérament m'éloigne à jamais de ces extrêmes, et ma paresse native, et la délicatesse de mon enveloppe charnelle. Je ne sais, quant à moi, goûter les charmes austères du jeûne, de la besace et du tribôn, et de la mendicité moins encore. J'avoue ma pusillanimité, mon indolence, ma fatigue chronique, mes humeurs vacillantes et vaticinantes, mes défauts de mémoire et de concentration, l'inconstance de mon énergie, mon inclination au plaisir sous toutes ses formes, moins par vice que par mollesse, bref je ne ferai jamais un kunique, ni un stoïcien.

Reste le problème politique. Je pense, comme les kuniques, qu'il ne faut pas en attendre le salut, le bonheur, la justice, ni aucun des idéaux qu'on y place d'ordinaire. C'est une terrible tromperie qui ne mène qu'à la dictature. La fin poltique n'est que négative : le Bien public se définit moins par ce qu'il réalise que par ce qu'il empêche. Par exemple : la confiscation des biens par une caste, la confusion des pouvoirs, la tyrannie d'un parti unique, l'inégalité criante, l'injustice, la répression, le flicage des citoyens, la dénonciation méthodique, l'encartement des opposants, le monopole de l'information, la mise sous tutelle des magistrats, la politique de clivage communautaire ou ethnique, l'exclusion par le non-travail, le sexe, l'origine sociale ou culturelle, le culte de la personnalité, la propagande raciste, la déculturation systématique de l'enseignement et de l'éducation, l'exploitation économique, l'arraisonnement industriel de la planète, la course au profit sans souci des conditions sociales, la précarisatiuon du travail, le dévaluation de la vie humaine dans tous les secteurs de la société. On voit qu'une politique purement négative est déjà bien ambitieuse, et qu'à tout prendre elle fournit un programme audacieusement révolutionnaire, vu le misérablisme des politiques en cours!

Ne méprisons pas les Kuniques. Rendons leur droit de cité dans la philosophie, à eux qui ont témoigné d'une rare constance et vérité dans la conduite de la vie. Mais à l'inverse ne jouons pas au Kunique si nous n'en avons pas les moyens, et physiques et moraux!

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Commentaires
A
Versez Monsieur G.K.<br /> "La jeunesse ceux sont les années qui nous reste" <br /> disait Monsieur Labarrère député maire de Pau<br /> La philosophie antique acquise mettez là au service de l'actualité pour une initiation objective et libre.<br /> Excusez-moi d'oser !!! sans me cacher derrière un pseudo .<br /> Il n'y a de courage à se cacher derrière un clavier et un écran . Sincèrement
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G
Loin de me froisser chaque nouvelle intervention me conforte dans la pensée que ce blog a une utilité sociale. Et dans ce sens-là il est bien "politique" au sens d'Arendt, s'il contribue - modestement il va sans dire - à faire événement dans le corps politique, même s'il ne veut en aucun cas être directement politique ou partisan, au sens courant du terme. Je sais bien que l'a-politisme pur n'existe pas et je ne m'en réclame point. Mais à l'inverse je ne veux pas verser dans le commentaire de l'actualité, même si parfois l'envie m'en brûle les doigts, tant il y aurait à dire. Entre réserve et prise de position indirecte et réflexive la voie est étroite. C'est elle pourtant que je m'efforce de pratiquer. Le lecteur jugera de sa pertinenece.
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M
Puis-je avancer mon cher Guy quelques désaccords sur ce que tu nommes le "problème" politique. Je me fais évidemment l’avocat du diable en postant ce commentaire, mais c’est là aussi toute la richesse du débat public ou politique, n’est-ce pas ? <br /> Je veux délibérément rompre quelques instants avec cette tradition de Platon jusqu’à Hegel, où la pensée se retire du monde des phénomènes, pour atteindre dans l’espace suprasensible : l’essence de la chose même. Permet moi alors d’évoquer ici, la position arendtienne qui renie cette attitude philosophique, anti-politique qui consiste à contempler les idées et les lois éternelles. L’auteur de la « Condition de l’homme moderne » insiste sur le fait que la tradition philosophique est originellement anti-politique, et que le contenu de la philosophie politique n’était autre chose qu’un procès de l’existence mondaine. Je pense avec elle, que parler philosophiquement de la politique signifie son propre anéantissement, puisque la politique se situe dans la praxis, l’action et non pas dans la vita contemplativa. <br /> Mais allons plus loin mon cher Guy, la quintessence du politique réside dans ce qui fait évènement, là où la « véritable » pensée nait. Cette pensée dont il s’agit n’est pas celle qui se meut dans le « déjà pensé »mais celle qui précisément recommence à l’épreuve de l’évènement. Fondamentalement cet évènementiel : c'est-à-dire l’irruption du nouveau à quoi l’évènement nous confronte, à trait à l’action humaine, pour autant qu’elle se distingue d’un pur comportement (et là je te rejoins, celui de nos politiques actuels) ou du simple effort de conservation. Cette capacité d’agir constitue la réponse de l’homme au fait d’être né, nouveaux venus et débutants dans le monde, du fait de cette naissance, nous sommes porteurs d’un élément nouveau. Ce que l’action, la praxis introduit dans le monde c’est l’unicité de chacun, l’initiative qu’il est. Hannah Arendt aimait citer DANTE : « dans toute action, ce qui est vrai en premier lieu pour celui qui agit est la révélation de sa propre image..rien n’agit si en agissant, il ne rend manifeste son soi caché ». De fait, l’unicité du « qui » reste toujours caché à celui qui agit ; il est probable nous dira Arendt, que « le « qui » qui apparaît si nettement aux autres, demeure caché à la personne elle-même, comme le daïmon de la religion grecque qui accompagne chaque homme tout au long de sa vie, mais se tient toujours derrière lui en regardant par-dessus son épaule, visible seulement aux gens que l’homme rencontre ». D’où, et dans ce cadre, l’absolue nécessité, de la présence d’autrui pour être reconnu comme citoyen, cet entre deux phénoménologique, me semble t-il, est le foyer, le fondement du statut de citoyenneté défini et compris dans les termes : d’égalité, d’identité , d’originalité, d’évènement, de commencement, de la naissance, enfin de la liberté !
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A
j'aimerais tous les pouvoirs pour ne pas en user.<br /> annie perini
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