Le JARDIN PHILOTHERAPEUTIQUE : journal du 5 mars
La réponse, la seule valable au problème de la mélancolie, seule adéquate, c'est la création. Pour moi, fait comme je suis, la création ne peut se faire que dans la poiétique, entendez poésie du corps, de la psyché et du noûs, dans la philosophie donc, et sa suite nécessaire : la philothérapie.
"A quoi peut bien servir une philosophie qui ne dérange personne," demandait Diogène le Chien. Epicure : "A quoi peut bien servir une philosophie qui ne soigne pas les maladies de l'âme?" Déranger, "faire de la fausse monnaie", subvertir les opinions, enquêter, comprendre et proposer, c'est notre tâche, et notre joie.
Installé de peu en cette ville je me suis efforcé de créer ce qui manquait, des lieux de réflexion : café philo, atelier philo, groupe de réflexion. J'ai initié par ailleurs un enseignement de philosophie grecque. C'est un préalable. Ce qui compte c'est que des personnes de tout bord s'intéressent à ces débats, ces ébats jubilatoires et déintéressés, créant sans le vouloir expréssément une sorte de société informelle d'amis philosophes. Ils ne se connaissent pas forcément entre eux, mais des relations se créent au fil des séances, et certains ont grand plaisir à se retrouver, comme par hasard, à la faveur d'un Kaïros imprévisible, joueur et farceur, et parfois drôlatique. Quelque chose s'anime de proche en proche, comme une douce brise printanière, annonciatrice d'un peu plus de lumière dans la sphère d'Apollon.
Je m'en réjouis. Et ma joie se fait plus allègre encore, plus enjouée, plus hardie au vu des ces premiers vagissements. Je vois que la chose est possible, mais pas seul, mais à la condition expresse d'un échange sensé et fraternel. Ce frémissement, cette discrète aurore de la pensée et de l'échange, je l'appele tout simplement : philosophie. Je ne puis souhaiter qu'une chose : que d'autres encore s'en mêlent, créent d'autres lieux de pensée, et que cela se mette tout doucement à tourbillonner, dans un joyeux vertige démocritéen : la dinè, force originaire de création, de nouveauté, de surgissements improbables.
Mouvement informel, sans chef, sans troupes d'élites, sans programme, sans ambition, sans finalité dessinable. Ni cultuel, ni politique, ni social, si ce n'est au sens très noble de l'amitié - philos, c'est l'ami de Sophia. Philosophia, amitié de l'ami dans l'amour de la sagesse. On pense seul, très ouvent, et c'est indispensable, mais la pensée s'accomplit bien davantage dans le dia-logue, le Logos qui va de l'un à l'autre, et de l'autre à l'un, sous la loi de réciprocité, et de vérité.
Désir vrai du vrai dans le dialogue vrai. Je ne doute pas que bien des gens peuvent se reconnaître dans cette définition, qui est aussi, et surtout, un projet.
Kant souhaitait voir naître une république des personnes libres et responsables. C'est vraisemblablement la seule république qui vaille, la seule authentique. A défaut, élaborons ce jardin local, qui de locus en locus, pourra étendre ses allées de par le monde. Fleurs et brises, fontaines, arbres ombreux, oiseaux musiciens, voix chères qui ne se taisent, un monde est possible, en dépit de la barbarie qui nous entoure.