LE JARDIN SANS VISAGE : IX, X, XI et XII (Fin)
IX
L'AUTRE PAYS
Dans la grande ville de suie, de pluie
De mélancolie
Moi je vis comme un indien des plaines
J'ai mon chapeau à plumes sur la tête
J'enfourche mon cheval de poésie
Je cavalcade, je piaffe, je hennis
Je hurle par les rues
Je me moque de la guerre et de la paix
J'ai mes amis à moi qui ne me quittent pas
Ils sont plus réels que vous
Même morts ils sont plus vivants que vous
Ils sont tout le bonheur du monde
Ils sèment autour d'eux la beauté éternelle
Ils font croître les fleurs au milieu des charniers
Hiroshima est une roseraie pourpre
Nous sommes à jamais les apatrides
Sans feu ni lieu
Déracinés, enracinés dans le pays sans nom
Le seul qui n'a pas de frontière
Qui est de tous les temps
Le seul présent !
X
L'ENFANT
1
L'âne, avec le boeuf, soufflait de ses narines sur l'enfant. L'étoile était au front de l'ange. Ses grandes ailes enveloppaient la terre.
L'enfant dormait nu sur la paille. Il ne le savait pas, mais sur son front dansaient tous les possibles.
Jette le dé ! En ce vierge matin tout se joue,
D'un seul coup!
2
J'aimerais dire tout ce que j'aime
Jouets, vases, livres d'images
Oiseaux et paysages
L'ile de Robinson, papayes, perroquets
Senteurs, couleurs et colibris
Le musc et le jasmin, fleur d'églantine
Douce fleur de Vénus
Toute la sensualité des Tropiques
Toute la sensualité des pays où je n'irai jamais
Palmiers, cocotiers, figuiers, pistachiers
La mer, la mer encore, la mer toujours
Algues sauvages des lagunes
Coraux éblouissants, turgescents
Toute la lumière réfractée sous la mer
Long délice sous l'eau alanguissante et vague
Des myriades de coquillages dans tes cheveux
Longues lianes sauvages tout le long de ton corps
Qui dansent doucement dans la brise océane
Tes cheveux sont des algues, ton corps est diaphane
Tout l'océan coule par ton corps
Tout l'océan lave nos deux corps
Et nous immatérialise à la lumière
Comme de beaux rayons tremblotants bleuissants
Nous sommes deux archanges
Irradiés irradiants
Nous sillonnons les fonds marins comme des météores
L'univers n'a plus de secret pour nous
Et tout mêlés à l'élément fondamental
Couple divin, triades et myriades
Nous goûtons le nectar de l'éternel amour.
XI
VENUS
Au milieu des crachats, des ornières
La beauté garce
Eau vive, iris, irrépressible !
XII
SALUTATION
Ne tremble pas, l'heure s'avance en habits de noces.
La mort est l'autre face de l'amour.
Heure grave me voici!
Je n'ai vécu que pour ce flamboiement d'aurore
Ici commence après le dénuement cruel
Le règne du présent sans partage.
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Ces poèmes, je les ai écrits il y a longtemps déjà. A les relire je fus saisi d'un sentiment étrange. Ainsi donc, cela je l'ai déjà vécu, transcrit dans une langue balbutiante. Entre grâce et désespoir je me suis résolu à les reprendre, à les élaguer, taillant de ci, ciselant de là, toujours exigeant, et trop souvent dégoûté de mes anciennes approximations. Mais après tout, plutôt que de les laisser pourrir dans le tiroir, j'ai estimé possible une exhumation corrective, pour le plaisir, je l'espère, de quelques-uns. Quant à moi, je me suis jugé contenté par un voyage poétique ambigü, mais non sans quelque ravissement. En jugera qui veut bien.