EMPEDOCLE : le projet PHILOTHERAPEUTIQUE

" O mes amis, qui habitez la grande cité au bord du blond Acragas

Là haut, dans la partie haute, vous qui vous consacrez aux nobles travaux

Vous qui êtes si hospitaliers, si respectueux pour les étrangers, qui ignorez le mal

Je vous salue!"

C'est en ces termes qu'Empédocle s'adresse à ces amis qui l'entourent, qui pratiquent avec lui la noble activité de philosophie, qui ensemble fondent une citadelle de la connaissance désintéressée, qui soulagent la douleur physique et le mal de l'âme. Ils suivent le Maître de sagesse, répandent autour de lui le parfum subtil de la juste pensée, pratiquent la discipline exemplaire et élèvent les âmes vers le bien. Et l'action, par cercles centrifuges, rayonne de proche en proche vers les bas quartiers de la ville, vers les campagnes alentour, vers la Sicile toute entière, la Grande grèce, et jusque chez les Barbares. Car la bonne nouvelle est adressée à tous, hommes et femmes, citoyens et métèques, artisans et nobles, sans distinction de race, de classe, de culte et de culture :

"Ils me suivent par milliers, s'enquérant de la voie qui profite

Certains désirent des oracles, d'autres veulent entendre la parole qui guérit

Car depuis longtemps ils sont transpercés de cruelles douleurs".

       Empédocle énonce ici la programme fondateur de la philothérapie. Il prend en pitié la grande douleur des hommes, il guérit la femme inanimée, la rappelle à la vie, il prononce la "parole qui guérit". Médecin des corps et des âmes, thérapeute, psychagogue, mage et sage, il sait écouter, entendre, soulager, conseiller et guérir. Mais par dessus tout il sait communiquer avec le Daïmon, le sien propre, et celui des autres. Il a compris de longtemps que l'homme est à la fois un corps, un thymos et un daïmon, et que le Daïmon voyage de corps en corps, d'âme en âme, revêtant à chaque incarnation un nouvel habit de confection qu'il abandonne pour de nouvelles apparitions. Entrer en relation avec son propre daïmon, consentir à ces parcours nocturnes et diurnes, n'est ce pas là le sens ultime de l'existence? Et celui qui s'élève à cette compréhension n'est-il pas déjà un dieu parmi les hommes?

Philothérapie : la philosophie se veut connaissance éclairée, action noble et utile au service de la santé, médecine de l'âme. Déjà se profilent les enseignements d'Epicure et de Lucrèce : un lieu "fortifié" par la sagesse, "haut lieu" de l'acropole, ou jardin discret aux abords de la ville, une communauté vigilante et enthousiaste, un projet d'extension pacifique par le savoir et l'exemple, une "université" informelle des esprits libres, un rayonnement par cercles centrifuges, une contre-société des amis, unis mais singuliers, mais originaux et créatifs.

Rien d'étonnant à ce que Lucrèce célèbre le grand initiateur d'Acragas, poète, philosophe et réformateur. Bien sûr il condamanera la théorie de la métempsycose, la croyance aux "daïmones", il revisite la physique et la psychologie, mais il est bien fidèle à la perspective prophylactique et thérapeutique d'Empédocle, réformé par la doctrine d'Epicure. La douleur est partout sur cette terre, il faut soulager, comprendre et guérir si possible. Si le sage se soucie de soi avant tout, ce n'est pas pour se détourner des hommes dans un mépris égoïste, c'est par lucidité : ne peut aider que celui qui s'est aidé lui-même au premier chef.

On sait qu'Empédocle finira solitaire. Dans un mythe grandiose on le présentera se jettant dans le cratère de l'Etna, retrouvant enfin l'unité cosmique originelle que la naissance lui avait ravie. Ce mythe est à la mesure du personnage. En lui le divin s'unit à l'humain, et à tous les vivants.  Il fut honoré, déifié, il mourut seul. Mais qu'est ce que la solitude pour un homme qui vécut dans la proximité de l'originaire?

Il parlait. Fut-il vraiment entendu? Mais après tout qu'importe. Il était l'âme du monde.

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NOTE : Les PHILOTHERAPEUTES : Empédocle, Démocrite, Epicure, Lucrèce, Diogène d'Oenanda, Schopenhauer, Nietzsche. Et Bouddha bien sûr. Et quelques psychiatres philosophes, comme Groddeck.

Est-il nécessaire de préciser que c'est d'eux que je me réclame, même s'il est très évident que j'adore les poètes philosophes comme Héraclite ou Hölderlin? Le suprême est de voir les deux tendances réunies chez un même individu, ce qui en ferait le type accompli de l'humain.