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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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19 janvier 2010

" le SOLEIL est NOUVEAU tous les jours"

"Le soleil est nouveau tous les jours". Cette parole d'Héraclite mérite plus qu'un commentaire, plutôt une sorte de célébration philosophique! De quoi s'agit-il? Et de quel soleil parlons nous ici? Certes du soleil comme réalité sensible, mais pas seulement. Il résonne dans cet apophtègme je ne sais quelle équivocité qui évoque les paroles enivrées, énigmatiques de la Pythie de Delphes. Le soleil est la référence commune, l'évidence sensible qui rend manifestes les choses de ce monde. Comment pourrait-il être autre que soi puisque chaque jour il fait retour? Et pourtant? N'est-il pas comme ce fleuve fameux qui n'est jamais le même tout en étant soi-même, et dans lequel le même homme ne se baigne pas deux fois?

"Nous descendons et nous ne descendons pas dans les mêmes fleuves, nous sommes et nous ne sommes pas". On pourrait dire alors "le soleil qui se lève chaque jour est à la fois le même et pas le même. Chaque jour est égal, à la fois identique et différent". L'essentiel est de bien comprendre qu'ici le principe d'identité n' a pas cours, contre la logique à venir (celle d'Aristote), et que l'Un-Tout est cette unité qui se sépare de soi, s'oppose à soi tout en restant soi. "Je suis et je ne suis pas". Les contradictions ne portent pas préjudice au Logos, tout au contraire elles en manifestent l'éternelle puissance créatrice.

Le difficile, dans la pensée d'héraclite, c'est de se hisser en deça de quinze siècles de rationalisme pour boire à la source de l'originaire. L'originaire est dans Héraclite, peut-être plus que partout ailleurs. En lui résonne encore le vieux savoir des Sages qui va déclinant dès son époque, et qui bientôt s'affadira et disparaîtra dans ce qu'il est convenu d'appeler "la philosophie", qui dans son étymologie même fait éclater la vérité : sagesse perdue, parole inaugurale recouverte par le bavardage métaphysique, entrée dans le monde profane de l'histoire et de ses drames. Ce que Héraclite veut enseigner est devenu si "obscur", pour ses contemporains déjà,- alors que dire de nous -, que nous avons peu de chance, sauf à pratiquer systématiquement l'originaire, d' entendre le sens de ses paroles. Et pourtant quoi de plus simple? Ce qui est n'est jamais tout à fait, en tout cas pas au sens d'un être-soi immobile et permanent. C'est plus un apparaïtre qu'un être, une apparition, comme celle du soleil levant. J'imagine fort bien Héraclite lever les bras vers le ciel lorsque le disque solaire brille à l'horizon, entre brumes et coulées de couleurs. Qui, de nos jours, s'avise à célébrer la levée du soleil?

Une révision du thème de l'Eternel Retour s'impose. Ce qui revient ce n'est pas le même soleil, le même matin, la même lumière, le même fleuve et le même homme. Nous pensons être en présence d'un Même de la Répétition : pensée triste, pensée fatiguée. Mélancolie des brouillards et des marées immobiles. Ce n'est pas le passé qui revient, c'est la chance d'un nouveau départ, la chance d'une nouvelle déclinaison, d'un écart créateur. Je ne suis plus celui que j'étais, je suis, en ce matin premier du monde, un nouveau-né qui s'ouvre à la première lumière, explorant pour la première fois la joie du corps dans la jeune lumière. Hier n'est plus, demain n'est pas encore. Et pourquoi parler d'un demain? C'est ici, en cet instant sans précédent, que se lève le soleil, entre les cimes, entre les arbres de mon jardin. Ce que j'ai écrit hier, je ne m'en souviens plus, et je ne veux rien en savoir. A chaque jour écrire c'est créer un monde, c'est, avec Hölderlin, "habiter la terre en poète".

Plutôt que d'éternel retour, parlons d'Eternel Advenir.

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Commentaires
O
Il est vrai que cette affirmation d'Héraclite est assez énigmatique acr elle ouvre différents champs d'interprétation. Pour ma part j'en vois trois, qui recoupent plus ou moins les vôtres :<br /> <br /> 1/ Il y a une identité verticale (figée dans le temps), et une identité horizontale (étirée dans le temps).<br /> <br /> Verticalement, le soleil est toujours le même. Encore faut-il choisir le bon moment. Le moment ou le soleil est le plus lui-même, ce qui impliquerait une définition exacte et exhaustive du soleil, ce qui est bien entendu en dehors de nos moyens humains.<br /> <br /> Dans le temps, ou du moins durant notre temps (de vie), le soleil reste le soleil. On en conviendra (c’est une convention). On continuera donc à l’appeler « le soleil », et pour tout le monde, il sera évident qu’il s’agit de cette boule qui flamboie (plus ou moins) dans le ciel. Nous savons cependant que le soleil vieillit lui aussi, et disparaîtra (plus exactement : deviendra autre chose) un jour. Ce jour n’arrivera pas de notre vivant mais ce processus de vieillissement fait que le soleil change un peu tous les jours, et même à chaque instant, ne serait-ce que par la perte d’une partie de sa matière combustible. Il se transforme insensiblement (à l’échelle de notre vie), et est effectivement différent, et donc nouveau chaque jour.<br /> <br /> Il reste cependant le même car sa « nature » d’un jour sur l’autre ne change que trop peu pour mettre en cause son identité, et le changement s’effectue dans une certaine cohérence (qui fait par exemple que la plante est de même nature que la graine qu’elle était à l’origine.<br /> <br /> 2/ Chaque jour le soleil reste le soleil, ce que la phrase d’Héraclite ne conteste aucunement. Mais il est « nouveau ».<br /> <br /> Il est donc le même, mais « autrement ». Il est vrai qu’il y a le soleil, et la représentation que nous nous en faisons (et c’est d’ailleurs la seule chose qui compte pour nous au quotidien). Et cette représentation est effectivement très variable : soleil d’été, soleil d’hiver, soleil voilé, soleil aveuglant, soleil absent, soleil froid, ou chaud … et dépend même de manière très subjective de notre état d’esprit du moment : soleil resplendissant, soleil indifférent, soleil ami, soleil accablant …<br /> <br /> 3/ La vie est constituée de cycles qui pourraient être monotones dans leur répétition (un jour l’ennui naquit de l’uniformité), mais heureusement intervient là notre faculté d’oubli (ou notre défaillance à mémoriser totalement).<br /> <br /> A chaque nouveau jour, j’ai un peu oublié le passé. Je me souviens du soleil mais pas tant que ça finalement, pas complètement. Un nouveau jour se lève et tout m’émerveille comme si c’était la première fois (et encore plus, bien sûr si je suis resté enfermé 1 an dans une cave !).
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