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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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29 juin 2009

De la PIPE, et d'autres ADDICTIIONS

La pipe, je parle d'une pipe en bois naturellement, c'est mon délice du petit matin. Dès le réveil, encore tout empesé de rêves et de moiteurs, je pense à ce plaisir à venir qui me donne envie de me lever et de reprendre mes élucubrations philosophiques. C'est que dans mon esprit écrire et fumer sont quasi indissociables. Ajoutez-y le petit café de 10 heures, et voici tout prêt le cocktail de mon exaltation privée. C'est du vice, sans aucun doute, mais connaissez-vous des gens qui vivent sans le recours au moindre excitant? Sans ces apprêts du songe et de la dérive je ne vaux rien, je ne suis rien, pauvre hère sans intelligence, engoncé dans un piteux sommeil, une morne hébétude. D'aucuns marchent aux amphétamines, d'autes planent à la cocaïne, moi je gambade à la caféïne et à l'herbe de Nicot. Blâmable tant qu'on voudra cette conduite est ma concession personnelle à l'addiction. J'en connais de plus graves, mais je les refuse tout net. Ecrire exige une lucudité quasi divine.

Fort modestement je puis me réclamer d'augustes prédécesseurs, comme Spinoza qui fumait sa pipe hollandaise pour se ragaillardir avant les longues prosodies conceptuelles de son Ethique, comme Kant, réveillé par son valet dès cinq heures du matin, en toute saison sans exception, allumant sa pipe matutinale pour mieux approcher les colombes de la Raison pure. Voici quelque temps j'ai lu le délicieux ouvrage de Humbert : "Pas de fumée sans Freud", qui établit sans conteste posssible la nécessaire accointance du tabac et de la psychanalyse. Mais notre analyste ne fumait que le cigare, ou plutôt vingt cigares par jour, et souffrait atrocement du manque pendant la grande guerre quand le tabac était diffiicile à trouver. Il est permis de conjecturer que les grands concepts freudins sentent la nicotine, ce qui ne va pas sans charme, mais laisse à songer. Une psychanalyse non tabagique est-elle possible? Difficile à croire quand on pense à la pipe de Jung, au cigare de Lacan (un éternel coimbre de La havane tordu et alambiqué à plaisir à l'image de son esprit, ou plutôt de son inconscient), à l'éternelle cigarette de Françoise Dolto, sans parler de Fritz Pearls et de tant d'autres!

Le tabac est un stimulant psychique. Allié fort naturellement au café il réveille, excite, dynamise, fortifie. Il donne à l'esprit je ne sais quelle agilité, quelle densité de conception, quelle légèreté apollinienne. Il fait danser les concepts et rire le thymos! Herbe du miracle, miracle de l'herbe. D'aucuns en meurent dira-t-on. Et c'est vrai. Peut-être ont-ils quelque peu exagéré, croyant que le génie s'achète ou se prête, ou bien par ennui, par lassitude de vivre, par désir inconscient d'en finir avec la vie. Affaire de mesure. Le meilleur n'est pas dans l'exagération du bien, mais dans sa retenue. Je ne conçois le fumer que comme expérience de plaisir, non comme conduite obsessionnelle, divertissement ou passe-temps. Le comble du bonheur c'est cet alliage de la pensée inventive et débridée, de la pipe lente et stimulante, de l'écriture patiente et fièvreuse, de l'intelligence qui dérive et enivre! A côté de quoi beaucoup de réputés plaisirs me semblent bien ternes. De fait la journée, pour moi, est esentiellemnt une occasion d'écrire, un appel au Kairos, une disponibilité ouverte au meilleur.

Je n'ai que mépris pour les fumaillons qui fument au lieu de vivre, qui consument leur souffle et leur poumon dans l'ennui interminable d'un farniente passif. Je considère la pensée comme une action au plein sens du terme, si elle n'est pas rumination, ressentiment, projection, ratiocination. La vraie pensée ne ressasse pas, elle s'élève dun coup d'aile vers l'infini. Elle danse dans les sphères bleues et lumineuses, elle s'abreuve du cosmos, elle séjourne parfois auprès des dieux, mais plus souvent elle ne s'attache à rien, n'adore rien, ne déteste rien et se plaît à s'ébattre dans l'Immense. Elle est poésie, elle est sagesse. Elle est plaisir sans reste, sans attache et sans trace. Elle est comme le martinet sabrant la nue, voltigeant, éructant, riant de toute chose, et de soi-même sans aucun doute.

La pipe est d'abord un bel objet. Noblesse du bois poli. Douce pénétration entre les lèvres entrouvertes. Solidité, fermeté du contact. Fragrance discrète de la bruyère. Et puis voici la blague à tabac, l'arôme complexe des feuilles coupées, et le bourrage attentif, et l'allumette, et le feu, et la prise, et l'aspiration et le premirer bouquet! Et dans le corps une douce excitation, et l'esprit qui se réveille et se met à chanter! Rimbaud par les chemins d'exil, le vers, la rime, et le rythme se pressant pour jaillir!

Le café a ses charmes, surtout le matin. Je n'aime le thé que l'après-midi, entre deux plages de sieste et de promenade. On dit que le vin est occidental, le café arabe, et le thé oriental. Ce n'est pas entièrement faux. Disons que je suis les trois, avec ardeur égale. Comme ces Chinois qui sont confucéens le matin, taoïstes l'après midi et bouddhistes le soir. Ceux-là ne sont pas sectaires. Moi non plus. Vin, café, thé - et pipe  - voilà qui vous pose un homme! Ajoutez que je suis bonne fourchette. L'ascétisme, décidément, n'est pas pour moi!

A quoi reconnaît-on un épicurien? Non certes à l'abstention, ni à l'accummulation. L'épicurien est un délicat, un sensible, un vulnérable, un épidermique. Aussi cultive-t-il avec sagacité la mesure. Non par moralité, mais par hygiène. De la sorte il jouit doublement, de l'intensiité relative, et de la rareté relative. Non gourmand mais gourmet, jusque dans l' humble appréciation du plus humble des festins : "une olive, un verre de vin, me voilà l'égal de Zeus" (Epicure). Les agapes du sage ne sont pas de quantité, mais de finesse, - et de finesse d'esprit. Pensée du plaisir, plaisir du penser.

Qui trop accroît la vie accroît la mort. Ne courons pas, mes amis, ni après l'amour, ni l'extase, ni le divertissemnt, ni le travail, ni la production, ni le voyage, ni même le plaisir : dans cet espace infime de la durée qu'on appelle l'instant c'est toute l'éternité qui se joue : rencontre de Chronos et d'Aïon, flamboiement discret, merveilleusement gratuit du Kairos souverain.

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