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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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27 avril 2009

DU DEUIL :(2) : deuil et moi-idéal

Dans l'article précédent nous avons pu mettre en évidence la prédominance de la perte narcissique sur la perte objectale. En termes plus simples : dans la perte de l'objet c'est surtout une partie de moi que je perds. Mais alors quelle est cette partie? Il semble impossible de répondre a priori à cette question sans tomber dans l'arbitraire le plus total. Pourtant je crois que nous disposons d'un critère : quelle est l'expérience vraiment la plus douloureuse? Dans quelle expérience de perte avons-nous souffert le plus? Allons plus loin encore : dans cette perte la plus douloureuse remarquons-nous un phénomène de répétition, qui fait qu'une seule et même blessure fondamentale semble à chaque fois se réouvrir, quels que soient par ailleurs les éléments différentiels? On dirait une répétition à grande échelle, toujours travestie par les apparences - à chaque fois il semblerait que ce soit un objet différent que l'on perd - et pourtant dans ces pertes successives il y a comme un air de déjà-vu, de déjà-connu, qui ne manque pas de nous troubler, si toutefois nous sommes attentifs.

Freud avait répéré une compulsion de répétition, qui l'intrigua fort, qui semblait condamner les patients aux mêmes errements déplaisants ou traumatiques. Pour l'expliquer il se crut contraint d'invoquer une supposée pulsion de mort qui se manifesterait par la répétition de l'échec, la réaction thérapeutique négative, et dans d'autres cas plus lourds par une tendance mélancolique voire suicidaire. Je ne suis pas sûr que cette hypothèse  explique grand chose. Il me semble plutôt que la difficulté à passer l'épreuve de la perte, à traverser le manque et à tourner la page tient à la nature même de l'investissement inconscient sur l'objet. Cet objet semble si précieux, si vital que le perdre est synonyme de mourir : "Un seul objet vous manque et tout est dépeuplé". Mais existe-t-il vraiment un tel objet, si vital, si intime et si nécessaire que je puisse préférer la mort à sa disparition comme s'il était plus moi que moi-même, comme consubstantiel à moi, déterminant en quelque sorte la véracité et la consistance de mon être même?

Dès lors la réponse me semble aller de soi : ce moi plus moi que moi ne peut être que le moi idéal, fondement absolu et incontournable de mon identité imaginaire.

Par moi idéal (à différencier rigoureusement de l'Idéal du moi, plus tardif dans l'évolution, et surtout marqué nettement par une dimension symbolique) j'entends cette image qui se construit dans la petite enfance dans les accointances si intimes avec la mère, image construite à partir de l'expérience du miroir, où le sujet contemple une image de soi infiniment gratifiante, comme unité corporelle, et surtout comme bel objet de l'amour maternel, fleurant dans ce sourire de pleine béatitude, de sentiments indicibles secrèment partagés, d'effusion tendre et voluptueuse, à se sentir aimé, adoré et à jamais justifié dans le regard maternel : complicité à deux, d'une infinie tendresse, élation narcissique absolument plénière et à jamais satisfaisante. "Je suis celui que ma mère aime plus que tout, je suis l'objet absolu et sans partage, le miroir de son amour inconditionnel, celui par qui, elle aussi, acquiert une pleine justification objective. Je suis celui à qui rien ne manque dans ce regard qui me fait exister en doublure, chacun de nous deux tirant sa pleine justification du regard de l'autre. A tel point que je ne sais plus trop si je suis ce moi existant hors de la captation de son regard, ou si je suis ce regard même, dans l'émerveillement toujours renouvelé de l'instant de grâce originelle:

"Tu peux m'ouvrir cent fois les bras

C'est toujours la première fois"

Et c'est là sans doute la puissance mystérieusement, éternellemnt agissante du sourire de la Mona Lisa de Léonard.

L'expérience inverse existe aussi : "je suis le canard boiteux, le déficient, le non satisfaisant, l'enfant manqué : "Je suis le tenébreux, le veuf, l'inconsolé". Et que deviendra celui qui s'identifie à ce regard de mort porté sur sa fragile existence? Combien de pathologies dites narcissiques s'origineront-elles de ce premier rejet?

Mais revenons au moi-idéal "positif". Est-il si positif que cela? On peut penser que c'est pour le moins un bon début dans l'existence d'avoir éprouvé ce sentiment d'élection exclusive. Certes, c'est un fondement irremplaçable, dont le manque, s'il se produit, a peut-être des effets très dommageables pour la suite.( Voir "Le Parfum" de Süsskind). Mais aussi : comment pourrait-on faire durer cet émerveillement primordial quand tout conspire, et la réalité, et la naissance du petit frère, et le jugement des autres, à vous détrôner, vous dés-idéaliser, vous rabrouer et vous ramener à l'aune commune? Déjà à la crèche vous n'êtes plus l'Unique (et sa propriété!), vous voilà rabaissé au rang ordinaire des petits enfants, à partager avec eux l'amour de la maîtresse, cette seconde maman dont vous attendiez le même amour, impartageable, exclusif et inconditionnel? Sans compter que le papa, et non moi, va coucher tous les soirs auprès d'elle, ma bien-aimée, mon amour, ma traîtresse de mère!

La puissance du moi-idéal est incommensurable. L'éducation, le langage, la culture, l'école et le principe de réalité même vont agir efficacement pour produire un refoulement massif de cette instance mégalomaniaque et totalitaire. Mais si difficilement. Si incomplètement, et avec tant de douleurs, de réussites mi-avortées, de larmes et de haine rentrée. Songeons aux ravages de la jalousie fraternelle, aux aléas de l'oedipe et à toutes ces expérience de détachements, de renoncements, d'éloignements, formateurs bien sûr, mais dans la souffrance, et souvent le ressentiment. Bref l'enfant doit, tout le lui enseigne, quitter maman, ou plus exactement renoncer à être ce phallus imaginaire de la mère, garant de sa puissance à elle, et de son existence à lui. Rude épreuve, que beaucoup ne peuvent parachever dans l'amour renouvelé et l'autonomie. Et de toute façon il restera  des traces dans l'inconscient, de secrètes blessures qui peuvent se réveiller à chaque passage maturatif difficile. En un sens un peu mélancolique nous pouvons dire que vivre c'est traverser une suite interminable de pertes successives, toujours différentes, et pourtant fondamentalement identiques. Le moi-idéal se fracasse sur le principe de réalité, et renaît interminablement de ses cendres. Il se déguisera, se travestira en altruisme, en générosité, en bonté, en sainteté, et tout ce qu'on voudra. Mais à l'arrière plan, comme une araignée indélogeable, il est toujours là. Refoulement et retour du refoulé, avec des transformations plus ou moins visibles ou véraces. Il peut notablemnt s'affaiblir et tels les Titans chassés par Zeus au fond du Tartare, gronder et vociférer dans les profondeurs : sans doute ne disparaît-il jamais tout à fait. Pis encore : peut-être est-il souhaitable qu'il ne disparaisse pas tout entier? Même  les Cyclopes et les Titans peuvent servir la divinité de Zeus, dans un duel paradoxal, à la fois hostile et amical.

N'est ce pas le moi-idéal qui nous fait cavaler indéfiniment après la Beauté? Et qu'est ce qu'un artiste sinon un amoureux éconduit qui ne se lasse pas de reconquérir la Belle qui s'échappe toujours? " J'ai assis la Beauté sur mes genoux, mais elle n' a pas voulu de moi". On peut aussi, plus prosaÏquement, estimer que cette quête éperdue n'en vaut pas la chandelle. Alors on se fait philosophe plutôt que poète.

Très humblement je confesserai que l'entrée dans une nouvelle ère de ma vie, ou plutôt la perte définitive de ma jeunesse m' a causé les plus grands troubles. Vient un âge où il faut savoir battre coulpe. Sauf à jouer les vieux beaux, ces ridicules d'entre les ridicules, nous sentons qu'il est des manières de sentir, de penser, et d'agir qui ne sont plus de mise. Finie la comédie de l'éternelle jouvence! Fini le jeu à qui perd gagne. Finie la séduction de l'enfant merveilleux qui triomphe toujours, du Chevalier d'Errance et de Charme, du Héros de bande dessinée! Toutes ces incarnations, idéalisations, identifications et aliénations ont vécu. Il faut croire que faire le deuil de l'enfant idéal et faire la traversée du fantasme ne sont qu'une seule et même opération psychique. Quant à deviner ce qui peut procéder de là, je n'en sais rien, et en un sens très fort, je n'en ai cure.

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Commentaires
C
Cet article me parle<br /> il me parle parce qu'il parle de moi<br /> parce qu'il parle de nous êtres humains<br /> de nos larmes de nos douleurs et de nos haines<br /> Parce que sans doute je suis moi aussi en train de tenter la traversée . . .<br /> Merci d'en être un éclaireur
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