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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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14 juin 2008

PYRRHONNISME

PYRRHON d'ELIS : représentant ultime de la sagesse grecque à l'époque hellénistique, contemporain d'Alexandre le Grand  qu'il accompagne jusqu'aux Indes. C'est là qu'il fut initié aux techniques et philosophies orientales, auprès des "gymnosophistes" - les sages nus - dont il admire la profondeur de vue et la conduire imperturbable. C'est là un moment fort de l'Histoire : Orient et Occident se rencontrent, échangent un temps des techniques et des idées. L'immense empire d'Alexandre, ingérable dès la mort du conquérant, se fragmente en Etats gréco-asiatiques sous la conduite des généraux macédoniens. Mais cela ne peut durer bien longtemps. La Grèce est si loin! Et bien entendu les rivalités entre factions vont ruiner rapidement toute organisation. De cette époque datent néanmoins de très belles oeuvres sculpturales, des textes remarquables (notamment bouddhiques "Les questions à Milinda", entretien légendaire entre un moine et un roi grec). On rêve d'une rencontre qui aurait été durable et qui aurait donné à l'Occident une autre orientation, moins techniciste et plus contemplative. Encore une occasion manquée, comme plus tard celle du nouveau monde.

Elis était une ville du nord-est du Péloponèse célèbre à deux titres. Chargée de l'entretien et des préparatifs d'Olympie, le siège des Jeux, Elis occupe une position particulière qui la met relativement à l'abri des guerres helléniques. On ne saccage pas une ville qui a la responsablilité des Jeux Olympiques! Second point, fort intéressant pour notre propos, Elis est la seule ville grecque qui ait un temple en l'honneur de Hadès, le dieu des morts. L'"horrible Hadès" (citation d'Homère), avec Perséphone la grimaçante, règnait sur l'empire souterrain. A son retour de la campagne d'Asie, auréolé du prestige du héros et célèbre pour sa conduite irréprochable, Pyrrhon est nommé grand prêtre du santuaire, en charge de l'entretien et du culte. Pyrrhon accepte une charge assez légère, jouit d'un statut enviable, et surtout, indépendant à tous égards, il peut méditer à loisir sur la vie, la mort et l'éternité. Par ailleurs on nous le présente élevant ses gorets, labourant et cueillant, avec sa soeur, des légumes pour les vendre au marché. Après les aléas d'une campagne outrageusement épuisante Pyrrhon goûte aux délices de la vie, à proximité immédiate de la ville d'Elis, cultivant son champ, enseignant ses gorets, ses seuls véritables disciples, aux subtilités sceptiques, et par ailleurs s'acquittant honorablement de ses fonctions sacerdotales.

Pyrrhon croit-il aux dieux? Difficile de répondre en l'absence de textes significatifs, d'autant que notre sage s'abstient soigneusement d'écrire, comme Socrate. Pyrrhon est un homme de parole, entendons un redoutable discoureur et dialecticien, célèbre pour la facilité et l'abondance de ses diatribes. Et si l'auditeur, lassé de l'entendre, se détourne et retourne à ses affaires, Pyrrhon continue imperturbablement à enseigner tout seul. Et qu'enseigne-t-il? La non préférence, "pas plus ceci que cela", une sorte de non-différence qui a nom "adiaphoria" : non choix, non sélection, non opinion, non pensée, non attachement,dans le sens oriental du terme. Etrange philosophie, et surtout pour des Grecs batailleurs, acharnés à la dispute et à la controverse, toujours prompts à la critique, rompus de longue date aux arguties des philosophes et des sophistes. Mais Pyrrhon ne se décourage jamais. Ce qu'il veut enseigner, il en est convaincu jusqu'à l'os! Etrange certitude pour quequ'un que la tradition désignera comme initiateur du scepticisme. Un sceptique convaincu et inébranlable dans ses postures, qu'est-ce à dire? On dira que c'est une contradiction majeure, que Pyrrhon est soit un illuminé sans jugeotte, soit un mystificateur. C'est en fait ne rien comprendre à sa pensée, qui ne devient accessible pour nous que si nous faisons un petit détour par L'Orient.

Commençons par cette citation de Timon, son disciple:

"O vieillard, o Pyrrhon, comment et d'où as-tu trouvé moyen de te dépouiller

De la servitude des opinions et de la vanité d'esprit des sophistes?

Comment et d'où as-tu dénoué les liens de toute tromperie et de toute persuasion?

Tu ne t'es pas soucié de chercher à savoir quels sont les vents

Qui dominent la Grèce, d'où vient chaque chose et vers quoi elle va.

Voici, o Pyrrhon, ce que mon coeur se languit d'entendre :

Comment fais-tu donc, étant homme, pour mener si aisément ta vie dans la tranquillité

Seul parmi les hommes, leur servant de guide à la façon d'un dieu?

Il faudrait reprendre chaque mot pour dégager une leçon cohérente. Ce texte dégage en fait l'essentiel: la position de Pyrrhon est d'abord négative. Ne pas se préoccupoer de savoir des choses inutiles pour la conduite de la vie (D'où viennent les vents, d'où viennent les choses et où elles vont etc) Une certaine indifférence pour le savoir scientifique ou technique. De fait on peut comparer avec Bouddha qui refuse les questions métaphysiques "inutiles pour la délivrance". Cela ne veut pas dire qu'il faille rejeter le savoir. Il faut et il suffit de ne pas s'y attacher, de ne pas adhérer : "se dépouiller de la servitude des opinions, de la vanité d'esprit  " ; Ne pas s'y croire, ne pas affirmer, ne pas nier, ne pas s'enthousiasmer pour des doctrines, toujours incertaines (le "Que sais-je? de Montaigne) , toujours révisables et régulièrement démenties et amendées. Et à l'inverse ne pas rejeter avec mépris, ne pas nier - de quel droit pourrait-on nier quoi que ce soit? Qu'en savons-nous? Qui sommes-nous pour prétendre savoir? Savons-nous seulement si et quand nous savons? Et quand savons-nous et quand ne savons nous pas? Où est le critère? D'où viendrait-il? Des sens? Mais que valent les sens en dehors de l'usage pratique de la vie? Pourquoi seraient-ils fiables quand il nous disent tantôt une chose et tantôt son contraire.?  Le relativisme est ici, après les sophistes, ( et notamment après Anaxarque dit le Bienheureux, le maître de Pyrrhon que celui-ci rejoignit dans l'armée d''Alexandre) réaffirmé de manière polémique et tonitruante, ruinant de fait toute proposition, rendant intenable toute prise de de position dogmatique. Après Pyrrhon on ne peut plus affirmer, nier, affirmer que l'on sait, nier que l'on sache, savoir que l'on nie, de fait on ne peut plus tenir aucun discours cohérent, hormis le rejet de tout discours : APHASIE, c'est à dire non-jugement, non-parole, silence philosphique, d'autant plus remarquable que notre homme parlait énormément, non pas pour dire quelque chose, mais pour montrer qu'il ne fallait pas dire. Non-parole infinie, silence fécond. C'est dans le même esprit que les bouddhistes affirment: en quarante ans d'enseignement Bouddha n'a jamais prononcé une seule parole!

On dira que c'est contradictoire? Ce l'est si on se place dans la logique binaire, celle du tiers exclu, celle d'Aristote : entre A et non A il n'est pas de tiece possibilité.  Mais ici on change complètement de référent: non seulement le tiers exclu est possible, il est nécessaire. Non ne pouvons a priori décider qu'il n'est pas d'autre possibilité que A ou non A. De quel droit? Quel dieu nous aurait appris cette "vérité"? Où trouvons-nous un critère sûr, si ce n'est dans la pure et simple convention (leçon de Démocrite: convention que le doux, convention que l'amer, convention que la justive, convention que l'injustice) Le sage n'est pas le valet des conventions qui sont toujours l'arme du despote. Le sage ne reconnaît aucune autorité, si ce n'est celle de l'universelle nature. En toute rigueur, le sage est le spontané par excellence. Spontanéité de nature, hors nome, hors moralité, hors convention hors autorité, hors loi et hors foi. En ce sens , et en ce sens seulement, le sage est "comme un dieu parmi les hommes".

Juste un mot encore, pour aujourd'hui. J'ai oublié Hadès le dieu des morts. Sans doute n'est ce pas hasard. On oublie volontiers ce dieu-là, sans doute parce que c'est le seul vraiment vrai, -  l'irrécusable. Ce que Pyrrhon avait parfaitement saisi.  GK

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