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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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1 mars 2023

DES RETOURS DU PASSE

 

Il est remarquable qu'en dépit de tout le sujet en revienne à retrouver périodiquement les mêmes sensations, émotions, images et idées qu'il avait déjà connues dans le passé, comme des ombres insistantes, des formes ambivalentes, voire des obsessions qu'il croyait avoir dominées ou repousées. C'est ce que note Goethe dans le poème inaugural du Faust :

                "A nouveau vous approchez, silhouettes chancelantes

              Qui jadis se sont montrées à l'esprit trouble".

Cette remontée du passé au présent, fort indésirable en soi, produit une légitime exaspération, surtout si le sujet, à la suite de profondes expériences existentielles, s'est cru libéré de ces représentations pesantes. Mais le fait est là : on n'oublie jamais rien, tôt ou tard tel souvenir fait retour, et parfois dans les circonstances les plus inattendues. Le temps de la vie psychique ignore nos horloges, nos calendriers, et les saisons, et l'âge même, et le début et la fin. Il n'est certes pas linéaire, mais pas forcément cyclique pour autant. Il a ses propres normes, revenant, tournant sur soi, en cercle, en tangente, en ellypse, échappant de sa nature à la prévisibilité, déjouant sans vergogne les anticipations. Ce que j'ai voulu hier, le veux-je aujourd'hui ? Et demain ce sera tout autre chose encore, qui fut jadis et qui n'est plus. "Le temps est un enfant qui joue".

Goethe, vieillissant, est perturbé par la remontée des figures anciennes qu'il croyait avoir définitivement oubliées, ou vaincues. Mais de quoi s'agi-il ? Un vieillard qui évoque langoureusement ses amours d'autrefois, n'est-ce pas un peu ridicule ? Sans doute, si ce vieillard s'imagine, comme font certains, qu'il a toujours vingt ans et qu'il peut plaire et séduire comme un jeune homme. Mais s'il a pleine conscience de son âge, des faiblesses de son âge, pourquoi évoquer le passé, et souffrir de cette évocation ? Cette évocation suppose un surgissement qui se produit "sponte sua", sans intention, sans calcul, comme si le sujet était le spectateur passif d'un événement dont la cause et l'effet lui échappent complètement. Toutefois, si l'on n'en peut empêcher la survenue, on peut, en principe, décider ensuite de ce qu'on en fera : observer, se détourner, ou laisser passer. Le poète en fera peut-être un poème.

Où l'on voit, chez les écrivains et les artistes en général, une tendance quasi invincible à revenir sans cesse sur un nombre assez restreint de thèmes qui manifestement structurent leur oeuvre, sinon leur vie. Otez cela, que feront-ils ? On pourrait dire : leurs thèmes les précèdent, ils sont nés pour les incarner.

Tout cela pour signifier que je parviens à présent à une appréciation un peu différente de la répétition, que jusqu'ici, suivant Freud, je considérais comme esssentiellement négative, voire pathologique. Bien sûr, il est beau de chanter les mérites de l'invention, du renouvellement, de la libre aventure dans l'ouvert. Cela existe aussi, c'est entendu. Mais il faut considérer sans a priori la nature et le fonctionnement  de la vie psychique, laquelle a besoin de répétition autant que de nouveauté. Ce qui revient sans cesse n'est pas nécessairement un trauma, un complexe inconscient ou un fantasme. Cela peut être une question existentielle d'un genre particulier, si énigmatique, si obscure qu'une existence entière ne suffit pas à la résoudre - tels ces oracles de la Pythie qui mettaient le consultant au défi. Songeons à "Oedipe à Colone" où, tout à la fin de sa vie, notre héros, meurtri, aveugle, se réconcilie avec son passé glorieux et pitoyable, avec sa vie en somme, telle qu'elle fut. Et Goethe encore : "Quoi qu'il en fut/C'était si beau" !

 

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