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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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9 avril 2021

SUR UN COUPLE DE PIES

 

Un couple de pies vit depuis des mois dans les arbres devant ma fenêtre. Ces jours-ci ils s'occupent laborieusement à construire un nid dans les hauteurs. Je les vois piquer vers le sol, prendre une brindille dans leur bec, voler vers les branches proches, et après une courte halte, s'élancer une seconde fois, se poser quelque part, là-haut, dans le jeune feuillage. Demain naîtront des pies toutes semblables à celles-ci, qui feront le même travail, engendrant des pies, jusqu'à la nuit des temps. A moins qu'un cataclysme général ne détruise toutes les conditions favorables.

Mon premier mouvement, à voir cette admirable organisation animale, cette ingéniosité, cette efficacité - ne serait-ce que la collaboration heureuse du mâle et de la femelle - fut de plaisir : la nature inventive, créatrice de milliards de formes différentes, inépuisable, voilà qui vous sidère, vous remplit d'une sorte d'étonnement jubilatoire. En quoi sommes nous donc distincts des animaux, et des plantes, si partout et en tout prédominent les mêmes besoins fondamentaux, les mêmes intérêts, et des conduites finalement similaires. C'est le miracle du vivant, cette "poésie sophistiquée" qui élève ses constructions fragiles, mais efficientes, contre la menace de mort.

Et puis vint une autre idée : Des pies construisent des nids, engendrent des pies selon une procédure invariable, qui fait qu'il n'y a guère de différence, voire aucune, entre une génération, la précédente et la suivante. N'est-ce pas l'image parfaite de l'absurde ? Comment ne pas convoquer les analyses de Schopenhauer sur le vouloir-vivre, répétitif, aveugle - absurde ? L'intelligence, à ce spectacle, se récrie et crie : tout cela n'a aucun sens ! Tout au plus pourrait-on voir du sens dans l'aventure globale de la nature, dans sa capacité à innover au fil des millénaires, mais au niveau de l'espèce, prise en elle-même, on ne trouve guère d'évolution, plutôt la répétition ad infinitum.

Ce qui est désolant, au bout du compte, c'est qu'un individu ne vive que pour transmettre son capital génétique, après quoi il est bon pour la casse. La puissance vitale, qui vient d'un autre, traverse l'individu, puis se perd en un autre, et ainsi de suite. C'est une formidable humiliation pour l'intelligence, qui, contemplant le mouvement universel, voudrait se hisser à la mesure du tout, et se retrouve, comme dit Montaigne, "dans le fient du monde". Cette humiliation, elle aussi, est une porte d'entrée dans la philosophie.

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Commentaires
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L'humiliation peut être, en effet, une opportunité et une porte d'entrée dans la philosophie mais si la philosophie n'apporte pas les réponses alors elle peut être aussi une porte d'entrée pour quelque chose de supérieur à elle, peut-être la non-philosophie.
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